Mon beau navire, ô ma mémoire: Un siècle de poésie française (Gallimard 1911-2011)
de Auteur inconnu

critiqué par Septularisen, le 17 mars 2017
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
CENT ANS DE POÉSIE FRANÇAISE EN CENT POÈMES
Cette anthologie a pour but, à peine caché, de mettre en valeur l’exceptionnel catalogue poétique des éditions Gallimard. Présente dès la fondation de la maison, au début du siècle dernier, la poésie a donné ses lettres de noblesse à la maison d’édition, avec la publication dès les premiers titres de poètes comme Saint-John PERSE ou encore Paul CLAUDEL.

Difficile de présenter en une courte critique, les cent poètes qui composent ce recueil, d’autant plus bien sûr que non seulement on voit défiler ici les plus grands poètes français : Paul VALERY ; Aimé CESAIRE ; René CHAR ; Paul ÉLUARD ; André BRETON ; Michel BUTOR ; Francis PONGE ; Édouard GLISSANT ; Henri MICHAUX, Jean COCTEAU, André GIDE…

Rien que pour la lettre A, défilent devant nous Guillaume APOLLINAIRE, ARAGON, Antonin ARTAUD, Jacques AUDIBERTI c’est dire ! Sans oublier non plus les autres « patries » où la langue française a trouvé refuge : la Belgique : Liliane WOUTERS (*1930), Géo NORGE ; Jean-Pierre VERHEGGEN (*1942), William CLIFF (*1940), Guy GOFFETTE (*1947)… La Suisse : Philippe JACCOTTET (*1925)…

Je me bornerai donc ici à citer quelques poètes à qui je voue une véritable admiration et que j’ai été heureux de retrouver ici, étant donné qu’ils sont parfois beaucoup moins connus que ceux cités plus haut: Robert DESNOS ; Jean FOLLAIN ; Max JACOB… Et ceux qui sont encore parmi nous au moment où j’écris ces lignes : Jude STÉFAN (*1930), Jacques ROUBAUD (*1932), Zéno BINAU (*1950)…

Comme toute anthologie digne de ce nom, on se demandera où est passé tel ou tel poète et pourquoi tel autre est là ? Ici, pour ma part, p. ex. je ne comprends pas trop la présence de Rainer Maria RILKE, (attention j’ai dit que je ne comprenais pas trop la raison de sa présence, pas qu’il ne méritait pas d’être présent…), dans une anthologie de poésie française, puisque celui-ci a écrit en français uniquement les sept dernières années de sa vie… Et son corollaire ? Où est donc passé Oscar Vladislas de LUBICZ-MILOSZ, qui lui a écrit en français dès l’âge de… 11 ans ! Particulièrement bizarre aussi l’absence de Victor SEGALEN, de Mohammed KHAÏR-EDDINE, d’Abdellatif LAÂBI (*1942) ou encore d’Yves BONNEFOY…

Difficile aussi de terminer cette critique en présentant un seul poème d’un seul poète… Mon choix (certainement discutable...) s’est porté sur celui-ci d'Eugène GUILLEVIC (1907-1997) :

LES ROCS

I
Ils ne le sauront pas les rocs,
Qu’on parle d’eux.

Et toujours ils n’auront pour tenir
Que grandeur.

Et que l’oubli de la marée,
Des soleils rouges.

II

Ils n’ont pas besoin du rire
Ou de l’ivresse

Ils ne font pas brûler
Du soufre dans le noir.

Car jamais
Ils n’ont craint la mort.

De la peur
Ils ont fait un hôte

Et leur folie
Est clairvoyante

III

Et puis la joie

De savoir la menace
Et de durer.

Pendant que sur les bords,
De la pierre les quitte

Que la vague et le vent grattaient
Pendant leur sieste.

IV

Ils n’ont pas à porter leur face
Comme un supplice.

Ils n’ont pas à porter de face
Où tout se lit.

V

La danse est en eux,
La flamme est en eux,
Quand bon leur semble.

Ce n’est pas un spectacle devant eux,
C’est en eux.

C’est la danse de leur intime
Et lucide folie.

C’est la flamme en eux
Du noyau de braise

VI

Ils n’ont pas voulu être le temple
Où se complaire.

Mais la menace est toujours là.
Dans le dehors.

Et la joie
Leur vient d’eux seuls,

Que la mer soir grise
Ou pourrie de bleue.

VII

Ils sentent le dehors,
Ils savent le dehors.

Peut-être parfois l’auront-ils béni
De les limiter :

La toute-puissance
N’est pas leur faible.

VIII

Parfois dans leur nuit
C’est un grondement
Qui longtemps résonne

Et leur grain se noie
Dans un vaste effroi :

Ils ne savaient plus
Qu’ils avaient une voix.

IX

Il arrive qu’un bloc
Se détache et tombe,

Tombe à perdre haleine
Dans la mer liquide.

Ils n’étaient donc bien
Que des blocs de pierre,

Un lieu de la danse
Que la danse épuise.

X

Mais le pire est toujours
D’être en dehors de soi
Quand la folie
N’est plus lucide

D’être le souvenir d’un roc et l’étendue
Vers le dehors et vers le vague


« Terraqué » collection Blanche, 1942.