Brasillach écrivain, mal-aimé des Lettres françaises
de Pierre Somville

critiqué par Débézed, le 15 mars 2017
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
L'homme ou la plume
Quand j’ai vu cet opuscule biographique traitant de la vie de Brasillach et surtout de son œuvre, je n’ai pas pu m’empêcher de le prendre. J’avais très envie d’en savoir plus sur ce personnage tellement agoni dont il ne reste que l’image la plus sombre, j’avais envie de comprendre un peu mieux comment peut-on être un écrivain talentueux et sombrer dans l’horreur la plus abjecte ? J’ai profité de cette occasion pour pousser un peu plus la porte qui me masquait ce personnage si odieux, encore trop mystérieux pour moi dont je ne connais toujours pas l’œuvre. Je voudrais suivre l’auteur quand il dit : « C’est l’écrivain justement que je veux évoquer. Sans rien omettre de ce qui a été dit, il faut cependant changer de registre et envisager l’œuvre, et dans l’œuvre, ce qui reste, contre vents et marées. »

J’ai découvert un individu au parcours presque banal pour un intellectuel agrégé de lettres, issu de Normale Sup’ : naissance dans le Roussillon, adolescence à Sens, études à Paris, à Louis le Grand, parcours plutôt classique pour un brillant littéraire de cette époque. Parcours qui emprunte vite le chemin de l’extrême droite, celui de l’Action Française où il signe une chronique. Lors d’un voyage en Allemagne, en 1937, il est subjugué par les fastes du nazisme, «… dans les petites rues pavées de Nuremberg et de Bamberg … c’est l’ancienne Allemagne du Saint-Empire qui se marie avec le III° Reich. Ils ne me choquent pas, cependant, ces millions de drapeaux qui décorent les façades. » En 1939, il part pour le front, est fait prisonnier mais revient bien vite et plonge alors dans la collaboration la plus totale, peut-être même la plus fanatique, là où il écrit les choses les plus abominables qui lui vaudront le triste sort que l’on connait. Pierre Somville pense qu’il ne méritait pas la peine de mort, il prétend que « C’est le triomphe du délit d’opinion, comme aux plus beaux jours de l’Inquisition ». Je lui laisse ces propos mais je me dis que s’il avait été jugé plus tard, peut-être que la sentence eût été moins lourde. Mais je m’abstiendrai de tout jugement, je n’étais pas né à cette époque.

Mozart avait peut-être écrit toute son œuvre à trente-cinq ans, Brasillach, fusillé à trente-six ans, a lui aussi laissé une œuvre considérable et très diversifiée, « l’ensemble est impressionnant par la variété et l’abondance ». Publications littéraires ou journalistiques, il faut bien faire la différence entre ces deux types d’œuvres. Les articles de presses, les chroniques, les billets sont bien connus pour leur virulence et le poids qu’ils ont pesé dans son procès. Il serait plus intéressant de s’attarder sur les portraits qu’il adressé, les causeries et chroniques littéraires qui constituent peut-être la meilleure partie de son œuvre littéraire.

Selon Somville ses romans sont peut-être moins intéressants : « En guise de bilan provisoire de tous ces univers romanesques, on constatera que, malgré les quelques moments excellents, l’action est parfois lente à démarrer, qu’il arrive aux personnages de manquer de relief, que le récit s’essouffle à force de détails descriptifs et que souvent l’ensemble, trop bien construit, fait date. » « En revanche dans les autofictions, le style se fait plus léger, plus alerte et se boit comme un vin de Loire. » Brasillach avait la plume, la langue, la culture, le talent littéraire mais pas, pas encore peut-être, le style et le souffle pour produire un grand roman. « C’est une belle écriture d’agrégé, et l’on reste loin de Montherlant. Plus encore de Céline ». On ne saura jamais s’il aurait pu écrire un grand chef d’œuvre ou s’il avait déjà atteint l’apogée de son art.