Histoire de Kabylie, le point de vue kabyle
de Youcef Zirem

critiqué par Emilien Halard, le 12 mars 2017
( - 38 ans)


La note:  étoiles
Le combat culturel des militants kabyles
Cette Histoire de Kabylie est parue dans une collection dédiée à l’histoire de régions à forte identité et à tendances indépendantistes. On y trouve par l’exemple, une « Histoire de Bretagne, le point de vue breton » et une « Histoire de Corse, le point de vue corse ».

Et ce n’est pas un hasard, car les Kabyles sont l’un des peuples berbères qui habitaient l’Afrique du Nord avant l’invasion arabo-musulmane du VIIème siècle. De ce fait, ils ont conservé et développé une identité culturelle bien différente de celle des Arabes algériens.

L’auteur, Youcef ZIREM, commence par évoquer l’Antiquité berbère avec les grandes figures que furent Massinissa, Saint Augustin, Térence, ainsi que les différents Papes berbères (dont Gélase, le Pape à l’origine de la tradition des crêpes à la fête de la Chandeleur, puisqu’il distribuait des crêpes aux pèlerins venant à Rome pour cette fête).

Plusieurs chapitres retracent l’histoire des dynasties berbères musulmanes, de la domination turque et de la colonisation française.

Mais ce qui m’a vraiment intéressé se trouve dans la seconde partie de l’ouvrage consacrée à l’époque ayant suivi l’indépendance de l’Algérie.

En effet, alors que les Kabyles s’étaient engagés corps et âmes dans le combat pour l’indépendance algérienne, les dirigeants algériens ont rapidement mené une politique d’arabisation forcée du pays.

Et c’est ici que le récit de Youcef ZIREM devient passionnant.

LANGUE KABYLE ET REFUS DE L'ISLAM RADICAL

L’auteur raconte comment le combat des militants kabyles s’est focalisé sur deux points : l’usage de la langue kabyle, et le refus d’une version trop stricte de l’islam.

Le mouvement pour la défense de l’identité culturelle kabyle s’est structuré autour de chanteurs, de partis politiques, d’écrivains mais aussi autour d’un club de foot : la JSK, jeunesse sportive de Kabylie.

C’est l’interdiction d’une conférence sur la poésie kabyle ancienne qui déclenchera les manifestations du printemps 1981 et leur brutale répression.

Le poète qui devait principalement faire l’objet de cette conférence n’est autre que Si Mohan Ou Mhand. Il s’agit d’un poète itinérant, mort en 1905. En parler ici n’est pas anodin. En effet, si ce poète était un musulman croyant, il avait également un rapport assez distancié avec certaines exigences religieuses. Ainsi, ses poèmes n’hésitent pas à évoquer avec complaisance les femmes aux mœurs légères, l’alcool et le cannabis.

LA VICTOIRE ISLAMISTE DE 1991

Le rapport à la religion est justement au centre d’un autre tournant du combat kabyle. Ce tournant a eu lieu à l’occasion de la victoire des islamistes du FIS (Front islamique du salut) aux élections de 1991 et du coup d’état militaire qui s’en est suivi.

Il est important de remarquer que c’est en Kabylie que le FIS a obtenu ses scores les plus faibles. Ainsi, alors que le FIS a raflé la totalité des 16 sièges de députés en jeu à Alger, il n’a remporté aucun des 12 sièges de Tizi Ouzou et des 11 sièges de Bejaia.

J’avoue n’avoir pas compris quelles étaient précisément les revendications du FIS. J’ai cru voir que le FIS demandait la fin de la mixité à l’école, mais j’ai du mal à imaginer que cette question ait pu justifier le coup d’état de l’armée.

Le FIS demandait également l’instauration d’une République islamique. Mais en quoi cette République islamique aurait-elle été différente de l’Etat algérien actuel ? Interdiction des bars ? Mise en place des sanctions pénales prévues par le Coran (couper les mains des voleurs ; 100 coups de fouet en cas de fornication) ?

Je ne suis pas même certain que durant sa campagne électorale le FIS ait indiqué avec précision en quoi consisterait cette République islamique.

Les deux grands partis kabyles (FFS et RCD), tous deux laïcs, n’ont pas eu la même réaction face au coup d’état. Le FFS a protesté contre l’interruption du processus électoral. A l’inverse, le RCD s’est réjoui du coup d’arrêt donné à la poussée islamiste.

UN BOUILLONNEMENT INTELLECTUEL

C’est tout le bouillonnement intellectuel des militants kabyles que raconte Youcef ZIREM dans ce récit captivant. On y voit des immigrés installés en France combiner leur travail quotidien avec l’écriture d’œuvres littéraires ou avec leur engagement politique. Tout est à mille lieues des intellectuels ou politiciens français financés par l’Etat.

Il me semble qu’un regard sur ce qui s’est passé avec les langues régionales en France serait très instructif pour les militants de la cause kabyle. En France, c’est tout simplement la télévision en langue française qui a tué les langues régionales (le breton, l’alsacien etc.).

Et a contrario, l’accès à des médias (radio, télévision) en langue kabyle a sans doute fortement contribué à sauver cette langue et la culture qui lui est liée.