Les âmes perdues
de Michael Collins

critiqué par Jules, le 16 avril 2004
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Une certaine Amérique
J’aime beaucoup Michael Collins comme écrivain et cela essentiellement pour deux raisons. La première est que, dans chacun de ses livres, il nous donne des vues différentes de ce qu’est réellement la société américaine. Pas de cadeaux quand il s’agit pour lui de nous montrer les faiblesses des différents systèmes sur lesquels cette société repose !

La seconde est que, pour atteindre ses objectifs, il se sert d’intrigues policières qui rendent toujours ses livres terriblement passionnants à lire. C’est à nouveau le cas dans son dernier livre qui vient de paraître.

Lawrence est un officier de police dont la femme est partie avec son fils qu’elle lui refuse de voir. Il est donc fort mal dans sa peau. Rien ne va s’arranger quand, dans le courant de la nuit d’Halloween, un tout jeune gosse va se faire écraser par une voiture dont le conducteur prendra la fuite. Mais voilà, un témoin prétend qu’il aurait vu la voiture de Kyle Johnson sur les lieux du drame. Celui-ci est un jeune gamin qui est la vedette de l’équipe de football américain du collège de la ville. Seul lui pourrait amener l’équipe en finale de la grande compétition de l’état. Tout cela se passe dans une petite ville à 180 km de Chicago.

Le mental de Lawrence ne va pas s’améliorer quand il sortira d’une réunion avec le maire et le commissaire de police ! Ceux-ci vont carrément lui faire comprendre que Kyle Johnson est bien trop précieux pour l’avenir de la petite ville que pour aller trop vite ou trop loin dans la poursuite de cette piste… Lawrence se sent pris dans un piège qu’il craint de ne pas pouvoir contrôler. Tout au long de l’enquête il se sentira espionné et manipulé. Il deviendra aussi obsédé par la douleur de la mère de ce gosse.

Il est loin d’avoir tort, car les catastrophes vont succéder aux catastrophes pour finir par faire exploser la petite communauté.

Un maire, vendeur de voitures, qui prétend n’agir que pour le bien de sa ville et dont Lawrence dit : « Son titre de gloire, c’était qu’il pouvait mettre son poing entier dans sa bouche. D’une certaine façon, c’était sa principale compétence en politique. » Il est prêt à couvrir un meurtrier d’enfant car celui-ci pourrait attirer de nombreux touristes dans la ville…

Des mouvements fanatiques religieux qui font la charité mais après avoir totalement humilié ceux à qui ils la font et qui ne peuvent s’en passer pour survivre.

Des banques qui laissent leurs clients s’endetter au point qu’ils sont dans l’impossibilité de rembourser. Lawrence dit qu’un jour tous ces misérables, dont lui-même fait partie, vont refuser d’encore rembourser un franc et que toute la soi-disant richesse des Etats-Unis va exploser.

Des parents irresponsables, bien trop occupés à gagner des dollars, qui abandonnent totalement leurs enfants à eux-mêmes. « C’était un monde de tristesse et de solitude. Je pense qu’aucun d’entre nous ne voulait vraiment affronter cette réalité. »

J’en passe et des meilleures…

L’écriture de Michael Collins est directe et précise comme un coup de bistouri dans la chair !
A part un léger creux d’une trentaine de pages, nous irons de rebondissements en rebondissements tout au long d’un récit des plus prenant. Tous les personnages sont très bien campés et Lawrence, totalement paumé, est particulièrement attachant.
Portrait de l'Amérique d'en-bas 8 étoiles

Voici un polar écrit à la première personne par Lawrence, un flic divorcé, crevant d'ennui et de solitude. En manque de son jeune fils qu'il ne voit presque plus.
Le soir d'Halloween, il découvre une petite fille de 3 ans morte, recroquevillée dans un tas de feuilles. Et l'affaire se met à sentir drôlement mauvais. Le maire, vendeur de voiture, demande à Lawrence d'étouffer l'affaire, d'autant plus que les soupçons s'abattent un peu trop sur la vedette de football locale, à l'approche d'un des matchs les plus importants pour cette petite ville.
Toujours chez Michael Collins ces personnages que l'Amérique semble avoir laissés sur le bord du chemin. Il excelle encore une fois dans la description de ces âmes perdues, qui se débattent au milieu des trafics, des coups bas politiques,... dans le cafard des ces villes du Midwest, faisant face à la crise.

Nothingman - Marche-en- Famenne - 44 ans - 12 décembre 2010


Une Amérique qui a perdu ses rêves et ses révoltes 10 étoiles

Michael Collins est en train de devenir un grand écrivain de thrillers intellectuels. Il fait partie de la communauté littéraire des expatriés à Seattle, et il pose un regard rusé et souvent caustique sur la société américaine. Le décor des Ames perdues est une petite ville du Midwest, où Dieu est craint. Le malheur guette les fornicateurs ou, pis encore, les femmes qui avortent. On découvre une communauté percluse d'hypocrisie. Pendant que le malheureux héros erre en écoutant des cassettes qui expliquent comment devenir milliardaire en faisant de l'immobilier, essaie de faire la paix avec son ex-femme, et s'arrête pour un baiser et un câlin avec une veuve, l'histoire atteint un pathos riche et inattendu. Collins a saisi l'étrangeté particulière de l'Amérique des petites villes. Une lame de rasoir dissimulée dans une pomme. Le fruit ainsi truffé par un inconnu malveillant constitue le symbole de ce thriller calme et dépressif. La pomme, c'est l'Amérique provinciale, hypocrite et puritaine, par vent froid; le rasoir, c’est l’auteur. Installé à Seattle, cet ami des losers tranche depuis déjà trois livres dans les chairs de sa nation d'adoption, à la fois passionnément aimée et attentivement haïe. L'anti-héros de Collins a fort à faire. Il agit peu, observe, rumine ses échecs avec un désenchantement voluptueux. Pessimiste? La lucidité la plus sombre, c'est ce qui caractérise, jusqu'à la rendre terrifiante, cette enquête d'un homme sur un fait divers, les angoisses primitives d'une microsociété, et sur lui-même. Le livre de Collins n'est dévitalisé qu'en apparence; il vous bouscule en profondeur, avec un doux entêtement. Le malheur lui va bien. Depuis son premier roman, Michael Collins n'a cessé d'observer, de disséquer, voire d'autopsier l'Amérique en apparence sans histoire des petites villes et des campagnes dans laquelle il vit désormais. Le charme des romans de Collins tient à son art de jouer des genres littéraires. Fluide, rapide, tout en muscle et en légèreté, Les Ames perdues a la souplesse et la tension des romans noirs. On y retrouve les ingrédients spécifiques au genre: la ville, les flics, un certain ordre social. Mais Collins corse son récit avec un dialogue éblouissant, qui donne à entendre les voix comme au théâtre. Le drame, la tragédie sont là, devant nous, dans le décor de cette ville américaine qui ressemble à une peinture d'Edward Hopper. Une ville piège d'où il est impossible de partir, où l'on vit sous le regard d'autrui, dans le murmure malveillant des malédictions et des ragots et celui, monocorde, des prières. Les Ames perdues est aussi un roman d'amour paternel, une histoire de solitude, une violente critique sociale, et le constat, glacé, d'une Amérique qui a perdu ses rêves et ses révoltes, et qui, comme Jane Fonda, préfère désormais militer pour l'aérobic que contre la guerre.

Zorrewind - - 56 ans - 7 août 2009


Amérique peu glorieuse 8 étoiles

Michael Collins est irlandais. De Limerick. L’auteur a émigré à Seattle et s’est plongé dans la description de l’Amérique moribonde et misérable. Misère humaine s’entend.

"Les âmes perdues", c’est l’histoire d’une petite fille âgée de trois ans, Sarah Kendall, qui se déguise en ange le soir d’Halloween sans savoir que ses ailes seront celles qui vont définitivement la conduire au ciel. Ses pas ont croisé celui d’un meurtrier, on retrouve son corps sous un tas de feuilles, l’enquête commence. C’est Lawrence, le flic débonnaire du coin sur lequel tombe cette affaire qui nous la raconte. Un type mal dans sa peau et dans sa tête, carrément tourmenté par moments, qui fera de la résolution du dossier une affaire personnelle. A première vue, la fillette aurait été écrasée par un chauffard qui l’a cachée avant de prendre la fuite. Mais ce n’est peut-être pas ainsi que les choses se sont passées. Lawrence enquête, suspecte, aimerait arrêter des gens mais subit des pressions. De simple crime, l’affaire prend une tournure diablement plus complexe, il y a du scandale là-dessous, des protégés et des protecteurs, cela ne sent pas très bon.

Le roman de Michael Collins est bien ficelé, l’intrigue tient en haleine, mais surtout, c’est le portrait dressé d’une certaine Amérique qui est intéressant. Cette Amérique prête à étouffer un meurtre de fillette pour sauver une star locale de base-ball, qui boit de la bière en regardant les matchs à la télé, qui se drogue de télé réalité, qui vit dans les illusions perdues d’un pays qui se croit directement sorti de la cuisse de Jupiter et doit faire la loi à sa façon, qui est prêt à vendre son âme pour accéder à l’american dream. Dur et noir, désabusé, c’est un roman qui secoue.

Sahkti - Genève - 50 ans - 14 mars 2006