L'homme qui mit fin à l'histoire
de Ken Liu

critiqué par Dixie39, le 28 avril 2017
( - 53 ans)


La note:  étoiles
la raison d'État ou comment broyer les Hommes et leurs consciences...
Je dois la découverte de ce petit livre d'un peu plus de cent pages à Aelinel, que je remercie encore pour cela. Pour tout vous dire, avant de lire sa chronique sur l'Homme qui mit fin à l'Histoire, j'ignorais tout de l'Unité 731 et des horreurs qu'elle a perpétuées sur une décennie, entre 1936 et 1945. Je ne vais pas m'étendre sur le détail des faits, car ce n'est pas là le propos du livre ; Ken Liu l'évoque, mais avec beaucoup de retenues : le but est de faire connaître, d'éveiller ou de réveiller les consciences par rapport à cet événement tragique et maintenu sous silence mais en aucun cas d'éditer un catalogue des horreurs rivalisant avec le pire des exactions nazies en ce domaine. Le peu qui est décrit laisse mesurer le degré de cruauté et d'inhumanité...

J'ai trouvé essentielle la manière dont l'auteur aborde ce fait historique : les questionnements multiples et pertinents sur cette inhumanité de l'homme, sur ce qu'est l'Histoire, le rôle du témoin, la force de la raison d'État qui balaie et broie les individus, éteint toute possibilité de réparations et de justice, là où même le souvenir est annihilé : Table rase sur le sujet et malheur à qui remontera toute cette fange à la surface des consciences et du présent !

Pourtant, c'est ce que va entreprendre un couple de scientifiques (lui, d'origine chinoise, elle japonaise), en inventant une machine capable de remonter le temps et en permettant aux familles des disparus d'assister au déroulement des faits sur les lieux mêmes, comme on regarderait une scène en train de se jouer. Mais malheureusement, tout passé vécu est un passé perdu...

"En cherchant à donner une voix aux victimes d'une terrible injustice, il n'avait guère réussi qu'à en réduire certaines au silence, à jamais."

J'ai aimé ce choix du témoin « proche », impliqué dans cette recherche de la vérité historique au détriment de l'expert, de l'historien ou du juriste assermenté. Je l'ai ressenti comme la volonté de replacer au coeur du débat l'individu, la personne même, dans une société où l'homme n'est que secondaire, effacé et balayé par « le système », la raison d'État et sa machine à broyer les consciences…

Beaucoup de questions se posent face à ce choix : quelle valeur accorder au témoin et à son témoignage ? Quelle vérité peut-on espérer de personnes qui ne pourront être neutres car forcément partiales ? Maîtriser les faits historiques avec ce voyage temporel, n'est-ce pas le meilleur moyen de mettre fin à l'Histoire et à toute découverte de la vérité historique ? Et ainsi faire la part belle au négationnisme ?

"Trop longtemps, nous tous, historiens compris, avons agi en exploiteurs des morts. Mais le passé n'est pas mort. Il est avec nous. Où que nous allions, nous sommes bombardés de champs de particules de Bohm-Kirino qui nous permettent de voir ce passé, comme si on regardait par la fenêtre. L'agonie des morts nous accompagne. Nous entendons leurs cris. Nous cheminons parmi leurs fantômes. Impossible de détourner le regard, de se boucher les oreilles. Il nous faut témoigner ; il nous faut parler pour ceux qui ne le peuvent pas. Nous n'avons qu'une occasion de le faire."

J'ai eu plus de mal avec la forme qui a pour moi, tout du moins au début, maintenu le récit à distance, même si je reconnais qu'elle offre à Ken Liu « une neutralité » qui lui permet d'aborder sans transition, différents points de vue en laissant la parole à une diversité de protagonistes.

Et pour finir : la couverture est magistralement belle...
Pour rendre témoignage contre l'unité 731 9 étoiles

En ouvrant ce livre, j’étais loin de me douter que j’aillais me retrouver embarqué dans une telle histoire aussi politique, aussi dérangeante, aussi engagée que celle-là. Je croyais commencer un livre de SF et c’est finalement plus que de la SF, qui n’est qu’un moyen trouvé par l’auteur pour écrire surtout un plaidoyer pour la mémoire des victimes civiles de la Guerre sino-japonaise entre 1936 et 1945 et un réquisitoire contre les crimes contre l’humanité.

Avec ce livre, j’ai appris l’existence de l’unité 731, dont j’ignorai que ça avait existé. Les crimes abominables de cette unité 731 n’ont rien à envier aux crimes nazis. La folie sanguinaire des hommes en terre chinoise avait là aussi trouvé son extrême pointe d’inhumanité, parallèlement aux nazis en terre européenne à la même époque et la comparaison est inévitable.

La façon dont s’y prend Ken Liu pour ce faire est originale, par le biais du voyage dans le temps, thème classique de la SF, mais aussi par le biais de l'imagerie médiatique, en empruntant les procédés propres à la télévision : interview, reportages, films, documentaires,… Un traitement résolument de notre époque pour rendre témoignages des crimes contre l’humanité commis par l’armée japonaise contre les victimes civiles en Chine, il y a plus d'un demi-siècle.

Voilà pour la forme. Et pour le fond, l’auteur fait assaut d’analyses historiques, psychologiques, philosophiques, morales, politiques tout en étant parfaitement intégrées à la trame de l’histoire.

Un livre court, dense, profond, dur et courageux (pas sûr que les gouvernements chinois, japonais et américains apprécient). Un livre qui mérite d’être lu, ne serait-ce que pour apprendre qu’une organisation comme l’unité 731 a pu exister.

Cédelor - Paris - 52 ans - 10 juin 2020


Interrogations sur l'Histoire 6 étoiles

Je reconnais qu’à la lecture de la phrase d’introduction du livre, celle décrivant le professeur Kirino, j’ai eu plutôt un préjugé négatif tant cela m’a paru trivial, voire faible (« Le professeur Kirino, la petite quarantaine, possède le genre de beauté qui ne demande guère de maquillage »). Heureusement la suite est d’un tout autre acabit. Ken Liu fait d’abord bien sûr œuvre de mémoire en parlant de la lugubre unité 731 qui, à l’instar de certaines de ses homologues nazies, fit subir des expériences « médicales » confinant à l’horreur sur des prisonniers et des civils à Harbin, en Chine, durant la deuxième guerre mondial.

Il aurait été facile de ne faire de ce court roman (presque une longue nouvelle) qu’un discours à charge. La grande habilité de Ken Liu a été d’explorer plutôt, à travers ce triste épisode, non seulement la question du fait historique et de sa preuve: comment prouver que quelque chose a existé, puisque même les témoignages des vétérans ayant participé peuvent être remis en cause (en Europe cela fait profondément écho aussi aux arguments des « négationnistes »), mais aussi la question de l’intérêt de faire remonter ce passé à la surface.

L’auteur expose ainsi des « entretiens » et des « témoignages » qui montrent toutes les opinions pouvant exister sur le sujet, mettant même en doute la véracité des images vues au cours des voyages dans le temps... Grâce à cette construction, qui forme une sorte de « docu-fiction » assez troublant et à la forme hétéroclite, Ken Liu est toujours sur le fil. Il donne un récit nuancé, empreint de doutes, presque philosophique. L’Homme est-il vraiment capable des pires horreurs telles que celles qui auraient été perpétrées à Harbin ?

Fanou03 - * - 48 ans - 14 août 2019


La SF comme prétexte ! 10 étoiles

Ken Liu (1976- ) est un écrivain américain de science-fiction.
"L'Homme qui mit fin à l'histoire" paraît en 2016 en France .

Akemi Kirino (Scientifique nippone) et Evan Wei (Historien chinois) ont inventé une machine permettant de revivre des instants du passé.
Machine qui devrait permettre d'apporter les preuves des atrocités commises par l'Unité 731 pendant la 2 ième guerre mondiale. Une organisation militaire japonaise qui s'est livrée à des expérimentations inhumaines sur des prisonniers chinois en Mandchourie.
Les autorités japonaises ont toujours refusé de reconnaître ces faits, aussi odieux que ceux perpétrés par les nazis allemands dans les camps de concentration.

Un texte très riche distillé sous différentes formes (minutes de procès, interview, narrations)
Un texte qui nous interroge sur le devoir de mémoire, le travail de l'historien, la responsabilité des peuples.
A qui l'Histoire appartient-elle ? Aux victimes, aux états ?

J'avoue avoir été bousculé par ce court texte, déroulé comme un plaidoyer mais qui ne prend pas fait et cause pour les victimes.
L'auteur nous interroge.
Une "philosophie de l'Histoire " en 107 pages.
Chapeau bas Mr LIU !

Frunny - PARIS - 58 ans - 15 juin 2019


Faux documentaire, vraie fiction 4 étoiles

Impression étrange générée par ce petit opuscule tant on ne sait trop comment l’appréhender.
Format et aspect formel d’un documentaire, sur des faits réels et atroces qui se déroulèrent en Chine, Mandchourie, entre 1936 et 1945 sous l’égide des troupes d’occupation japonaises mais biais S.F. pour raconter l’histoire puisque Ken Liu n’hésite pas à attribuer aux deux héros qui divulguent l’existence de « l’Unité 731 », l’utilisation d’une découverte physique majeure ; les particules de Bohm-Kirino, des particules qui n’existent qu’appariées et qui restent en liaison, en connexion, quand bien même elles seraient séparées en distance par des millions de kilomètres ou dans le temps par des années-lumière. Pourquoi me direz-vous en passer par ce biais compliqué ? Parce que cela offre la possibilité en choisissant le bon positionnement dans le temps de revivre, de revisualiser ce qui s’y est déroulé au moment choisi. Et ceci une seule fois, « one shot ». L’évènement revécu ne peut se revivre à nouveau.
Du coup, Ken Liu va nous briefer sur les évènements tragiques de cette « Unité 731 » - une Unité japonaise qui de 1936 à 1945 mena des recherches bactériologiques en territoire chinois, près de Harbin, sur des prisonniers chinois, soviétiques, soldats ou pas, dans des conditions de souffrance et de cruauté qui n’ont pas grand-chose à envier à ce qui se déroulait à Auschwitz ou autre Birkenau – et là nous sommes dans le réel. Et la forme documentaire prend tout son sens, Sauf que Ken Liu va convoquer la découverte des particules Bohm – Kirino pour permettre à des témoins de remonter le temps. Et là, pour le coup, S.F. et S.F. compliquée s’il en est ! Ca en fait un mélange étrange qui m’a plutôt troublé, même si je me considère maintenant beaucoup plus informé sur ce que l’armée japonaise a été capable de faire en Chine. En Chine et pas que …
Les protagonistes principaux forment un couple, tous deux américains d’adoption, d’origine japonaise pour Akemi Kirino, physicienne expérimentale, et Evan Wei, d’origine chinoise, historien spécialisé dans le Japon classique.
Elle, Akemi Kirino, a participé à la découverte des particules Bohm – Kirino. Lui, Evan Wei vient de comprendre quelle avait été l’activité de cette « Unité 731 » et il est bien entendu effaré des chiffres des prisonniers qui furent ainsi torturés, disséqués vivants, violés, … plusieurs centaines de milliers.
Il veut donc envoyer des témoins visualiser ce qui s’est déroulé en Mandchourie pour pouvoir dénoncer le plus précisément possible, en utilisant cette découverte des particules Bohm – Kirino. Ce sera fait, dans un contexte polémique puisque heurtant des intérêts nationaux ; du Japon, des USA (qui ont probablement donné l’immunité à des responsables en échange des résultats obtenus), puisqu’ayant envoyé des témoins concernés par des membres de leur famille et non point des historiens …
Beaucoup de problématiques au bilan pour ces 107 pages qui constituent une espèce d’OVNI littéraire : pas un documentaire … totalement, pas un roman de S.F. uniquement. Touffu !

Tistou - - 67 ans - 31 mai 2019


Pas vraiment un roman de SF 6 étoiles

Pas vraiment un roman non plus d’ailleurs, plutôt une novella (format livre de poche, moins de 100 pages).
Pas vraiment un documentaire…

Le principal intérêt de ce livre est d’informer sur l’existence de l’Unité 731 et sur les atrocités y ayant été commises, intérêt certes non négligeable, mais pourquoi passer par une fausse SF ?

« A l’issue de la guerre, le général MacArthur, commandant en chef des forces Alliées, a préservé les membres de l’Unité 731 de toute poursuite judiciaire pour crimes de guerre afin de récupérer les résultats de leurs expériences et de soustraire lesdites données à l’Union Soviétique.»

Ludmilla - Chaville - 68 ans - 30 décembre 2018