Le sexe fiable de Patrick Besson

Le sexe fiable de Patrick Besson

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 11 avril 2004 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
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Un bonheur de chaque mot

Pour Patrick Besson le monde possède sûrement des poignées invisibles, ce sont les phrases dont il est porteur.
Et ces phrases qu’il tire des choses du monde sont des assemblages de petits coussins gonflés de sensations bienheureuses. Besson écrit, c’est sûr, pour donner du plaisir à ses lecteurs. Et rares sont les auteurs qui expriment autant de jolies formules au centimètre carré ; ce qu’on pourrait appeler une écriture dense. Et qui danse.

Il fait l’éloge des femmes supérieures à l’homme (c’est pourquoi, d’après lui, l’homme veut les brimer); mais il ne s’agit pas d’un catalogue de conquêtes, Besson n’est pas un tombeur, et est-ce que les tombeurs aiment tellement les femmes ? – ils n’ont pas le temps de les désirer assez. C’est seulement le témoignage d’un homme qui aime les femmes et même, pour reprendre le titre d’un film de Pascal Thomas, celles qu’il n’a pas eues, car Besson, qui est volontiers pro-vocateur (pro- serbe, communiste etc.), prô-ne le mariage, peut-être l’une des aventures les plus risquées du nouveau millénaire.
Il nous raconte les deux femmes - en tant qu'épouses - de sa vie qu’il appelle « les filles du capitaine Grant ». Il nous parle aussi de sa mère (dont il a tiré un roman, Dara), de sa traductrice serbe, de quatre de ses éditrices ( Besson un auteur prolifique) et de l’épouse d’un ami par ailleurs écrivain (Me Marc- Edouard Nabe) comme on l’a rarement fait ou pu le faire...

Voici trois extraits ; difficile fut le choix, mais si j’en donne trop, vous n’achèterez pas le livre, bande de paresseux et paresseuses (tiens, un titre d’un roman de P.B. que La paresseuse), et ce serait dommage, d’autant plus que c’est très peu cher : 2,8 Euros ! Comme qui dirait un rapport qualité/prix maximum.

« J’ai tout attendu, tout voulu, tout espéré de femmes. Les vacances ne pouvaient qu’être amoureuses, les dîners en tête à tête, les conversations sentimentales. Du plus loin que je remonte dans mes souvenirs, la femme, la pensée de la femme, le rêve de la femme sont présents au premier plan dans mon esprit. La littérature n’a été pour moi qu’un moyen d’accéder aux femmes. "

« Toutes les femmes qu’on a aimées se ressemblent. Elles sont les clones de nos sentiments. D’habitude, on prend la même en plus jeune. Mais je n’aime que les femmes de mon âge. Par narcissisme, j’imagine. A 42 ans [la première édition de ce livre date de 1998. NDPL : note du présent lecteur], seules les femmes de 42 ans me paraissent désirables. Ou de 43. On fait non seulement l’amour avec un corps mais avec une vie. On touche le temps et le temps est sexy. Proust l’a montré assez bien, ne revenons pas là-dessus. »

« Quand on s’embête, on finit par dire des choses profondes – comme, après 15 jours à la campagne, on ne peut plus lire que Dostoïevski ou le Nouveau Testament. Rien de tel qu’une soirée soporifique pour faire de grandes découvertes spirituelles ou poétiques. Quand les gens s’ennuyaient, ils pensaient davantage et surtout ils écrivaient mieux. La volonté moderne de supprimer l’ennui – sport, week-end, télé etc. – est une agression contre l’Art. Pas moyen, si on ne s’ennuie pas, d’écrire A la recherche du temps perdu – et impossible de le lire ! L’ennui est une valeur, et peut-être la seule valeur. Loin de la combattre, nous devons la cultiver. Les gens qui s’ennuient sont à fréquenter. Les gens qui s’amusent sont à plaindre et à fuir, car la pitié est dangereuse. »

« Il me semble toujours qu’on ne décide de rien sauf de ce qu’on va écrire. Et que rien n’existe, sauf ce qu’on écrit. Comment avoir une vie normale dans ces conditions ? J’ai d’ailleurs l’impression de ne pas vivre, mais de me contenter d’éviter, depuis une trentaine d’années, d’être dérangé dans mon travail. Tout le temps que je ne passe pas à jouir ou à me reposer avec une fille est pour moi du temps perdu. Je préfère être seul car je n’ai pas à parler, qui est une autre façon d’écrire. Quand je fais la conversation, je fais des pages, et je fais assez de pages comme ça. Une rencontre amicale, voire amoureuse, me paraît de plus en plus être un devoir supplémentaire, du rab d’écriture. Une corvée de papier. »

S’agissant d’un objet temporel, on parlerait d’un bonheur de chaque instant, et puisqu’il s’agit bien ici d’un livre fait de phrases, je dirai qu’il est un bonheur de chaque mot.

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