Au coin de Guy et René-Lévesque
de Paule Turgeon

critiqué par Libris québécis, le 14 janvier 2017
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
De justice et de misogynie
Ceux qui adorent les procédures judiciaires apprécieront la lecture de ce roman de Paule Turgeon, ancienne journaliste affectée aux activités du palais de Justice de Québec. Il n'est donc pas surprenant que son héroïne soit une avocate en train de préparer la défense d'un client particulièrement violent, accusé d'avoir fui les lieux après un accident mortel.

Comme Sarah Lanthier en est à son premier procès pour le cabinet de maître Bouliane, elle a particulièrement à cœur l'acquittement de Nelson Voyer, fils d'un médecin réputé. Hélas, tout ce qu'elle entreprend pour préparer sa défense ne donne pas les fruits escomptés. On dirait que l'inculpé met tout en œuvre pour faire avorter le procès. Son manque de collaboration est peu vraisemblable de la part d'un récidiviste menacé d'une condamnation à perpétuité. Mais l'avocate persiste à vouloir assurer sa défense.

L'auteure est très discrète au sujet du comportement de l'accusé. Cependant on comprend que son roman se range parmi les manifestes contre l'asservissement de la femme. Les détails de coquetterie n'encombrent pas cette oeuvre. On sait que Sarah est belle. Un point, c'est tout. Les autres personnages féminins se présentent comme des êtres en voie de libération. Toutes parviennent à se défaire de la misogynie des hommes. Le contexte explique donc que Nelson Voyer n'apprécie d'être défendu par une femme.

Ce n'est pas le roman d'une féministe pure et dure. On ne prône que l'égalité des sexes. Ce qui est intolérable aux yeux de Sarah, c'est que certains profitent d'autrui à leur avantage ou, pis encore, que la vie des autres ne trouve pas grâce à leurs yeux. Cet aspect du roman constitue le second volet du roman. La jeune avocate se bat pour que la vérité et l'égalité triomphent de l'obscurantisme et de la soumission. Au grand dam de sa famille, elle poursuit même son grand-père, un juge alcoolique, qui a condamné un innocent à la pendaison en 1943 après avoir écarté une pièce à conviction qui l'aurait disculpé. L'auteure dénonce donc la magistrature quand elle trahit sa mission.

La trame s'appuie sur un décor fantastique, ayant comme principal élément le couvent des sœurs Grises, sis au coin de Guy et René-Lévesque à Montréal. C'est le point de départ de la deuxième partie du diptyque, qui conduira Sarah sur la piste de l'erreur judiciaire du grand-père. À son insu, cette histoire de pendaison injuste s'était infiltrée dans ses amours, comme l'indique le dénouement.

Pour son premier roman, l'auteure a érigé une structure complexe soudée aux enjeux de la justice. Le grand-père a envoyé un innocent à l'échafaud. La situation se présente inversement pour elle : doit-elle protéger un coupable d'une condamnation à perpétuité ? Malheureusement, ce dilemme reste en plan. Il aurait dû former un dernier volet qui aurait dénoué l'impasse. Quoi qu'il en soit, c'est un roman intéressant, qui serait mieux prisé sans son aura surréaliste. Par contre, l'écriture épurée, normative et efficace le protège de ses failles.