Cap Horn
de Francisco Coloane

critiqué par Myrco, le 12 février 2017
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Récits de l'extrême
C'est à ce recueil publié en 1941, auquel il faudra ajouter plus tard, dans la même veine, "Tierra del Fuego", que l'auteur chilien doit sa notoriété.

Qu'elles soient cruelles ou poignantes ou les deux à la fois, maritimes ou le plus souvent terrestres, ce sont des histoires dures, pour la plupart, que nous raconte Coloane, des histoires d'hommes, employés au service de grandes compagnies anonymes exploitant d'immenses troupeaux ovins, chasseurs de phoques, contrebandiers ou gardiens de phare...; des histoires de combat contre les conditions extrêmes, de vengeance, de trahison voire de crime pour le seul profit, mais aussi de galops dans la pampa et d'amitiés viriles...
Coloane nous faisait découvrir alors toute la beauté sauvage de cette Terre de Feu située au bout du bout du monde (le bagne d'Ushuaia était encore en activité), ces immensités hostiles et magnifiques où la rudesse du climat et le déchaînement des éléments font peser sur la vie des hommes et de leurs compagnons de travail animaux une menace permanente. De ces derniers, chevaux et chiens, il en sera aussi question ici.
Ces terres attirent toutes sortes d'aventuriers venus parfois de très loin ou individus au profil fruste et trouble venus on ne sait d'où. Mais surtout, l'environnement tend à façonner l'homme à son image. Ici, " la terre est trop cruelle et l'homme trop dur ". Dans un tel contexte, les conditions difficiles, la solitude, la frustration sexuelle, sollicitent à l'extrême les capacités de résistance de l'individu et peuvent mener au pire et l'alcool, bu pour tenir, peut exacerber ou révéler des instincts primaires parfois insoupçonnés.

Peu de lumière dans ces nouvelles, si ce n'est celle des nuits australes ou celle de "La poule aux œufs de lumière" (une des plus belles à mon avis, au si joli titre ); la fin en est rarement heureuse, mais si elle fait en général peu de doute, l'auteur sait néanmoins entretenir la tension.

J'invite le lecteur à ne pas se laisser induire en erreur par la quatrième de couverture qui parle du " climat brutal des récits, (du) traitement si particulier de la narration (débarrassée de toute "littérature" ) (sic), (du) style abrupt " et peut porter à confusion. Certes, la réalité décrite l'est souvent, brutale et abrupte, et Coloane ne l'édulcore pas (même si le regard du narrateur peut introduire une distance compassionnelle vis à vis de certaines cruautés; je pense à "Flamenco") ; cela participe de la beauté et de la puissance de certains de ces textes. Mais même si tous ne sont pas égaux, l'écriture, en particulier dans la description de la nature, est souvent magnifique, non dénuée de poésie, bien au contraire. Certains passages se révèlent à mon sens de vrais petits chefs-d'oeuvre de littérature; je citerai en particulier: la fin hallucinée de "La voix du vent" et le cauchemar ultime dans "Cap Horn" (respectivement les première et dernière nouvelles du recueil qui en comporte 14).
"L'astre vagabond achevait de coudre les nuages avec ses fils d'argent"
"La lune brillait; cette lune australe de la Terre de Feu, immense, étrange, qui flotte sur un ciel très voûté, comme une nacelle diamantine si lente que l'aube la surprend parfois à mi-chemin de sa course vers les mines dorées de nouveaux crépuscules".