L'écrivain public
de Michel Duchesne

critiqué par Libris québécis, le 9 janvier 2017
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Organisme communautaire de Montréal
Les églises ferment leurs portes faute de fidèles. Serait-ce que l’Évangile de saint Matthieu élève la pauvreté au rang des vertus : « Heureux les pauvres, car le royaume des Cieux est à eux. » En attendant ce jour béni, il faut se loger et manger. Et c’est sans compter que les gouvernants leur compliquent la vie en empruntant de plus en plus les voies de l’autoroute électronique pour desservir la population. Quand la pauvreté colle à la peau, l’illettrisme en compose les conséquences. L’école est loin d’être un outil précieux. Elle ne parvient pas à scolariser les élèves convenablement. Pourtant il en coûte toujours de plus en plus cher pour satisfaire les exigences des enseignants. Il faut acheter, par exemple, un cahier de couverture bleue pour les mathématiques, un rouge pour le français, etc. Et les enfants sont souvent délogés de l’école de leur milieu parce qu’elle n’a pas été entretenue. Le toit coule, la moisissure a vicié l’air, etc. Heureusement, il reste les églises fermées au culte que l’on peut occuper à plusieurs fins.

Mathieu, le héros du roman, travaille justement dans un temple désaffecté, où s’est implanté un organisme communautaire (le CCC) pour venir en aide aux laissés-pour-compte de l’arrondissement Hochelaga, le plus démuni de Montréal. Tant bien que mal, le personnel, sous la direction de M. Hautcoeur, organise des activités afin de panser la misère. Le roman s’ouvre sur l’entrée scolaire que les mères monoparentales ou négligées par un conjoint irresponsable peuvent préparer pour leurs rejetons en se rendant à ce centre de dépannage subventionné par l’État. Elles y trouvent à des prix ridicules ce qu’il faut à leur progéniture pour entreprendre une année scolaire qui sent la réussite. Hormis ces achats, on prépare des repas que l’on peut consommer sur place, on offre des cours d’alphabétisation pour le quart de la population qui ne sait pas lire. C’est une ressource inestimable au sein d’un quartier de gens dépourvus devant les contraintes de la vie.

Toujours menacés d’être privés de subventions si l’on ne performe pas, les employés du centre se dévouent corps et âme à la tâche que leur confie un directeur malcommode. Mathieu a pour mission d’aider les illettrés à remplir les formulaires des gouvernements fédéral, provincial et municipal. Il les aide aussi à écrire des lettres pour répondre à différents besoins comme celui de s’adresser à un propriétaire afin qu’il rende habitable le logement insalubre qu’il loue.

Il se présente dans ce microcosme différentes circonstances qui rapprochent tout un chacun. Les amitiés naissent, voire l’amour. C’est peut-être la plus grande richesse que le CCC offre à son personnel et aux bénéficiaires de ses services. L’entraide est plus que salutaire. C’est beau de voir tous ces gens qui s’activent pour s’en sortir ou qui débordent d’imagination pour que des solutions se concrétisent. L’auteur, qui a oeuvré dans ce milieu, a évité de le rendre déprimant. Son héros joint ce centre après une séparation douloureuse. Il y trouve son compte même si son directeur l’évalue comme un incompétent. Ses petites victoires justifient tout de même la pertinence de son emploi d’écrivain public, comme celui de Jacques Poulin, pour le grand plaisir de sa fille et de Cindy, sa nouvelle flamme. En fait, le roman de Michel Duchesne est aussi un roman d’amour dans un contexte de travail humanitaire.

C’est une œuvre touchante qui rappelle l’importance des liens pour survivre dans l’adversité. Qu’un organisme communautaire soit privilégié comme thème romanesque est unique dans la littérature québécoise. Et l’auteur a su éviter le piège du misérabilisme et du sensationnalisme. C’est sous un couvercle plein d’humour que mijote le caractère corrosif des situations que l’on transforme en victoires dans les cuisines du CCC (à prendre au sens propre). C’est écrit de manière alerte, sans prétention intellectuelle. C’est humain. Bref, c’est beau.