L'hipparion
de Jean Muno

critiqué par Alceste, le 30 décembre 2016
(Liège - 62 ans)


La note:  étoiles
Surréalisme doux
L’hipparion, c'est l’espèce préhistorique du cheval, et voilà que par un beau matin, l’un d’eux apparaît sur une plage de la mer du Nord, se met à suivre un brave homme passant par là, et à ne plus le lâcher. Heureuse coïncidence : ce quidam est un naturaliste, qui a aménagé chez lui un « musée », sorte de cabinet de curiosités d’histoire naturelle. La rencontre est donc une aubaine pour ce vieux garçon qui se voit déjà gravir tous les échelons du milieu académique grâce à son étonnante trouvaille.

Mais le chemin est long vers la reconnaissance, car l’animal venu droit du néolithique va déranger le quotidien de cette petite ville confite dans ses habitudes, puis viendront les suspicions, les sarcasmes, les trahisons, et finalement l’oubli, dans un coin de musée, de ce qui aurait pu être la découverte du siècle.

Comme dans un tableau de Magritte où un objet démesuré, incongru, vient déranger le confort du regard, l’hipparion, spectaculaire anachronisme, sème le trouble, mais comme dans ces mêmes tableaux où l’étrange semble se fondre dans le familier, l’hipparion prend sa place et la vie s’organise en fonction de lui. C’est le talent du délicieux romancier Jean Muno, de nous montrer de banals personnages se débattant avec un réel qui se rebiffe.

« L’hipparion se promenant à travers l’appartement de Madame Fugue, avec l’indolence d’un prodige choyé par le destin... Le croirait-on, la singularité de ce spectacle s’émoussa bientôt ; et Van Aerde se rendit compte à cette occasion que sa chance, si extraordinaire fût-elle, il devrait la défendre, comme n’importe quelle chance, contre la vie qui digère tout. Il s’aperçut aussi combien il appréhendait de voir son aventure se perdre dans les sables mouvants du quotidien. »

Ce roman (1962), écrit à une époque où le cheval, remplacé par l’automobile et le tracteur, disparaît de la vie quotidienne, est peut-être aussi prémonitoire d’un monde où le dernier cheval, au terme de l’extinction progressive des espèces, sera lui-même un fossile vivant.