Les vies de Jack London
de Michel Viotte

critiqué par Lucia-lilas, le 3 décembre 2016
( - 57 ans)


La note:  étoiles
En route!
Si l’on a tous lu un roman de Jack London (1876-1916) : L’Appel de la forêt, Croc-Blanc ou Martin Eden, finalement, on connaît mal l’écrivain, un géant à la « Hugo » dirais-je, dans la mesure où il a assumé de multiples fonctions, se lançant corps et âme dans la vie, dans l’action, sans compter, ne s’épargnant aucune peine, vivant pleinement ce qu’il lui était donné de vivre et repoussant sans cesse les limites pour aller toujours plus loin : « J’aimerais mieux être un météore superbe, et que chacun de mes atomes brille d’un magnifique éclat, plutôt qu’une planète endormie. La fonction propre de l’homme est de vivre, non d’exister. Je ne perdrai pas mes jours à essayer de prolonger ma vie. Je veux brûler tout mon temps. »
Et c’est ce qu’il fit. .
A elle seule, sa vie fut un roman ou des romans : il suffit d’ouvrir ce magnifique album pour découvrir une carte en double page qui pointe tous les lieux qu’il a traversés à une époque où les voyages n’étaient pas monnaie courante. Il fut, et je pèse mes mots, un véritable aventurier, un explorateur hors pair, un homme doué pour les grands espaces, passionné par le monde, un homme qui n’avait peur de rien et qui a bien failli mourir à de nombreuses reprises.
J’ai rencontré quelqu’un que je ne suis pas près d’oublier…
Il naît en 1876 et passe son enfance dans les quartiers pauvres de San Francisco. Il ne connaît pas son père et sera élevé par un certain John London qui reconnaîtra l’enfant. Pour aider sa famille, vers l’âge de dix ans, Jack exerce des petits boulots : vendeur de journaux, livreur de glace, balayeur. A quatorze ans, il arrête l’école car son père se trouve dans l’incapacité de travailler. Il est embauché à la conserverie Hickmott d’Oakland. Il lui arrive de travailler vingt heures d’affilée. Il aime traîner sur le port, rencontrer les marins. Il admire les pilleurs d’huîtres, ce qu’il devient rapidement ! Il boit ce qu’il gagne dans les tavernes et finit par tomber à l’eau complètement saoul. Il sera sauvé in extremis par un marin…
Abandonnant son rôle de « voleur », il accepte un poste à la patrouille de pêche qu’il laisse pour devenir…« vagabond du rail », se lançant à travers le pays, accroché sous les wagons des trains de marchandises. Non, non, on n’est pas dans un roman mais dans la vraie vie ! Ah, ce n’est pas de tout repos un fils comme ce gaillard-là !
Après la terre, c’est la mer qu’il veut affronter et il s’engage comme marin à bord d’un trois-mâts, la Sophia Sutherland. Pour celles et ceux qui ont lu Le Grand Marin de Catherine Poulain, il est inutile que je précise à quel point la vie en mer est un monde dur où il faut savoir s’imposer ! Cinquante et un jours de traversée du Pacifique pour atteindre les îles Bonin. De là, remontée vers la mer de Bering et lutte terrible avec un… typhon, rien que ça ! Pendant trois mois, il chasse le phoque.
A son retour, et poussé par sa mère, il écrit sa première nouvelle en s’inspirant de son voyage afin de participer à un concours organisé par un journal : « Un typhon au large des côtes du Japon » remportera le prix : ce sera son premier texte publié !
Il se fait ensuite embaucher dans une fabrique de jute puis va pelleter le charbon dans une centrale électrique. Il se sent exploité par les plus riches et pour manifester sa colère, il se joint à la marche de protestation constituée de chômeurs qui se dirigent vers Washington…
« J’étais né au sein de la classe laborieuse, et, âgé maintenant de dix-huit ans, ma situation était encore pire que lorsque j’avais débuté. J’avais dégringolé tout en bas de la société, dans les profondeurs souterraines de la misère. »
Rentrant chez lui, il est arrêté pour vagabondage puis incarcéré. Relâché, il visite les villes de l’Ouest puis rentre en passant par le Canada, se cachant dans les wagons à bestiaux : « Je voyais le spectacle de l’abîme social aussi nettement que s’il s’était agi de quelque chose de concret. Et j’avoue que j’ai été pris de terreur. »
Il décide enfin de reprendre ses études et s’inscrit au lycée puis prépare son entrée à l’université de Berkeley : il lira Marx, Darwin et se découvrira « socialiste ».
Hélas, pour subvenir à ses besoins, il doit travailler dans une blanchisserie. Il rentre chaque soir tellement épuisé qu’il est incapable d’étudier…
C’est en juillet 1897 qu’il se lance dans une nouvelle aventure : la ruée vers l’or dans le Klondike où une nuit équivaut à « quarante jours dans un réfrigérateur ».
Lorsqu’il reviendra du Grand-Nord, il décidera d’écrire mille mots chaque matin et s’y tiendra… toute sa vie !
Et, croyez-moi, nous ne sommes qu’au tout début d’une existence extraordinaire que je vous laisse découvrir et qui nous est présentée de façon très claire et extrêmement bien documentée dans ce magnifique album au titre évocateur : Les vies de Jack London.
Ce qui est absolument fascinant, dans cet ouvrage, c’est l’iconographie d’une diversité et d’une richesse incroyables et notamment des photos prises par London lui-même lorsqu’il fut journaliste-reporter ou correspondant de guerre car il a aussi exercé ces métiers ! Ce sont des photos d’une force inouïe : miséreux devant l’Armée du Salut à Londres, troupes japonaises en Corée, tremblement de terre à San Francisco. Les formats double-page sont à couper le souffle !
J’ai beaucoup aimé aussi les reproductions des couvertures très stylisées, façon « art nouveau » des premières publications de London : de vrais bijoux.
A cela s’ajoutent des cartes qui permettent de visualiser parfaitement les déplacements de l’écrivain à travers le monde.
Je ne peux que vous recommander cet ouvrage que j’ai lu comme un véritable roman d’aventures : Les vies de Jack London n’est pas un album qui se feuillette : c’est un livre qui se lit, qui se déguste et je me retenais de tourner les pages à l’avance pour avoir le plaisir de découvrir au fur et à mesure de ma lecture ces photos admirables et si fortes…
Encore une chose : pour les amateurs d’Histoire, c’est aussi toute une époque que l’on découvre : des débuts de l’industrialisation américaine aux premiers pas du cinéma qui, bien sûr, passionnera l’écrivain curieux de tout.
Un indispensable !