Lettres à deux juges françaises décorées de la Cruz de Honor de la Orden de San Raimundo de Penafort de Gilles Perrault

Lettres à deux juges françaises décorées de la Cruz de Honor de la Orden de San Raimundo de Penafort de Gilles Perrault

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Eric Eliès, le 21 novembre 2016 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
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Plaidoyer pour l'émancipation des minorités nationales en Europe

Gilles Perrault est un homme engagé, sorte d’éternel révolté à l’esprit volontiers caustique, dont la posture peut parfois irriter mais dont la sincérité et la volonté de vérité ne peuvent, je pense, être niées. Dans ce court essai, Gilles Perrault, sans totalement épouser la cause des indépendantistes basques, apostrophe deux magistrats français décorés en Espagne pour leur efficacité dans la lutte contre le terrorisme de l’ETA car il juge ignominieux l’empressement de la justice française à collaborer avec le gouvernement espagnol dont la politique ultra-répressive s’appuie (avec la création du GAL) sur la torture et sur l’assassinat pour museler les aspirations légitimes du peuple basque à affirmer son identité.

Avec une ironie mordante, Gilles Perrault (qui a été avocat) égratigne la servitude des juges vis-à-vis du pouvoir, qui sont capables, depuis le 19ème siècle, de condamner sans sourciller les servants d’une cause et son contraire à quelques années d’intervalle. Au-delà des grands discours sur l’indépendance de la justice, les juges sont en fait les vassaux de l’Etat. Aujourd’hui, en fermant les yeux sur l’évidence de la sincérité du combat des hommes et femmes (êtres ordinaires dont la seule singularité est un sentiment d’appartenance) qui défilent devant les tribunaux, ils prononcent des sentences uniquement pour répondre aux attentes du pouvoir, sans souci de justice. En fait, les causes des peuples opprimés, qui se battent en vertu du droit à disposer d’eux-mêmes, nous sont sympathiques (en Chine, en URSS, etc.) tant qu’elles ne nous concernent pas directement et nous sommes incapables d’accepter, sans préalablement la combattre et chercher à l’écraser, toute revendication d’indépendance menaçant la stabilité des frontières. Perrault dresse un parallèle avec la guerre d’Algérie et avec l’IRA car il considère que ces luttes démontrent la capacité d’auto-aveuglement des Etats qui, au nom de la défense de l’unité nationale, échouent à comprendre l’intensité des aspirations à l’indépendance, qu’ils croient pouvoir briser par la répression militaire et la torture alors qu’elles ne font que les attiser... Les Français (à l’exception des Bretons et des Corses) méprisent la volonté d’indépendance des Basques, qu’ils assimilent à des terroristes ou à des agitateurs témoignant leur ingratitude envers le reste de la nation. Le cas du peuple basque est pourtant, selon Perrault, d’une clarté limpide tant l’identité basque est caractérisée par une langue très spécifique (la seule langue encore parlée en Europe qui ne soit pas d’origine indo-européenne), des traditions séculaires et un territoire historique (qui est déjà évoquée dans « La chanson de Roland », qui n’est pas tué par les Sarrasins mais par les Vascons, c’est-à-dire les Basques !).

Gilles Perrault ne cherche pas à enjoliver la lutte armée de l’ETA, qui a commis des crimes atroces (attentats aveugles, exécutions sommaires de repentis ou d’opposants politiques, etc.) mais il explique cette radicalité par la constante oppression subie par le peuple basque depuis des décennies. Les Basques ont lutté avec force contre Franco, ont éliminé l’amiral Carrero Blanco (qui était son successeur désigné) ce qui a permis l’avènement de Juan Carlos mais, dans un contexte aussi dangereux pour leur existence, les Basques n’ont pas baissé les armes. Contrairement aux Catalans, qui ont su profiter du référendum constitutionnel et savent nouer des alliances politiques pour progresser par petits pas vers une autonomie sans cesse affermie (Perrault fait un chaleureux éloge de Jordi Pujol, qui n’est pourtant de son bord politique), les Basques clament depuis toujours leur volonté d’indépendance et s’opposent frontalement au gouvernement espagnol qui a su se trouver un allié zélé dans le gouvernement français. En effet, au nom de l’alliance des socialistes et de la défense des intérêts économiques (ventes de TGV, etc.), le gouvernement de Mitterrand collabore avec entrain, depuis 1984, alors que les méthodes employées en Espagne (torture, etc.) devraient nous interdire d’autoriser les extraditions et devraient justifier d’accorder le statut de réfugié politique aux indépendantistes basques. Perrault insiste longuement sur l’hypocrisie des démocraties, qui savent manipuler l’opinion pour légitimer leur action via le vote populaire de l’ensemble du pays qui écrase les minorités indociles.

Néanmoins, pour Perrault, les mécanismes de répression n’offrent pas d’issue à un conflit inscrit dans la durée. En conséquence, (mais sans s'interroger sur la viabilité politique ou économique de l'indépendance des Basques), il souligne la nécessité de trouver des portes de sortie et incite le lecteur à porter sur ce conflit un regard objectif et, par une approche de long terme, à le situer dans le contexte des autres luttes d’émancipation. Il insiste notamment sur deux idées maîtresses :
• La cause basque ne ressort pas du terrorisme. Il s’agit d’une lutte armée de résistance et l’emploi des armes, même excessif, ne suffit pas à déconsidérer une cause. Perrault établit un parallèle avec les réseaux de résistance de la 2ème GM et évoque également la reconnaissance internationale de Yasser Arafat et de Nelson Mandela. Alors qu’ils eurent recours à la lutte armée, aux prises d’otages, aux assassinats et aux attentats, ils sont aujourd’hui des personnalités internationales fréquentables et sont même devenus des emblèmes de la lutte contre l’injustice (Perrault raconte ainsi la grande froideur qui ont accueilli les propos qu’il avait tenus lors d’une réunion d’écologistes, pour démystifier le portrait idyllique du Mandela angélique brossé par quelques orateurs qui ignoraient que Mandela avait dirigé l’organisation des « lances de la nation » et prôné le recours à la violence contre l'apartheid, contrairement à d’autres opposants pacifistes)
• Les nations ne sont pas des entités figées pour l’éternité. Certains peuples semblent avoir été assimilés, par la force (ce qui fut en général la méthode du jacobinisme française) ou par la libre adhésion, mais les peuples ont une mémoire plus longue que celle des individus. Perrault donne en exemple la scission de la Tchéquie et de la Slovaquie ainsi que la résurgence des nationalités qui a suivi l’effondrement de l’URSS, provoquant la création d’Etats qu’on pensait pourtant étroitement imbriqués à l’ancienne Russie (ex : Ukraine et Biélorussie)

Dans son plaidoyer pour la reconnaissance des minorités nationales, il médite également sur l’évolution des Etats-nations en Europe, dont les piliers (la maîtrise de la monnaie et la capacité militaire de défendre le territoire national) ont été sapés par l’émergence d’une communauté européenne politique. Pour Gilles Perrault, comme l’Europe n’est pas capable de procurer aux peuples un idéal se substituant à celui de la nation, ils se cristalliseront sur leur identité antérieure, qui fait partie de leur héritage et doit être respectée. A ce titre, nous n'avons pas le droit de contester le droit à l'existence du pays basque, alors que nous reconnaissons celle du duché de Luxembourg...

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