Pereira prétend (BD)
de Pierre-Henry Gomont

critiqué par Hervé28, le 16 novembre 2016
(Chartres - 54 ans)


La note:  étoiles
Une métamorphose....
Tout d’abord, je dois préciser que je ne connaissais pas du tout Antonio Tabucchi, écrivain italien qui vivait au Portugal (je me suis renseigné depuis), ni le roman éponyme d’où est inspiré cette bande dessinée.
L’histoire de cette prise de conscience politique de Pereira, journaliste responsable de la rubrique culturelle du journal « Le Lisboa », nous est contée sur près de 150 pages. Le récit se situe pendant la dictature de Salazar, sur un fonds de guerre d’Espagne.
Il fallait effectivement au moins 150 pages pour cerner le personnage de Pereira, personnage complexe, hermétique à l’actualité et passionné de littérature française. Le suivi de cette métamorphose, qui passera de la neutralité au militantisme, n’est certes pas très original mais cela se lit bien. Quelques scènes m’ont fait sourire, surtout celle avec le père Antonio et son avis sur Claudel !
Connaissant assez bien le Portugal, j’ai surtout apprécié les planches de Pierre-Henry Gomont : on s’y croirait. Loin d’avoir adopté un style réaliste, bien au contraire, il nous baigne dans l’ambiance de Lisbonne avec brio : couleurs, décors, tramway, les ruelles, la chaleur, le Tage… tout y est. C’est parfait.
Par contre, si la qualité aussi bien scénaristique que graphique est au rendez-vous, je ne sais pas si je relirai cette bande dessinée.
Le meilleur des moi 9 étoiles

Il est toujours difficile de juger l’adaptation d’une œuvre que l’on n’a pas lue, mais à en juger par la qualité de cette bande dessinée, la matériau « Sostiene Pereira » a quelques atouts pour y contribuer. L’écrivain italien Antonio Tabucchi, dont le Portugal était la seconde patrie, évoque à travers ce roman l’engagement politique et la responsabilité de chacun face à un contexte politique particulier, en l’occurrence ici la dictature qui a sévi près de quarante années dans la péninsule ibérique. Le livre et son principal protagoniste, le Pereira du titre, sont d’ailleurs devenus une référence pour les opposants à Berlusconi dans l’Italie des années 90. Tabucchi y cite une théorie à la fois séduisante et troublante, celle des « médecins-philosophes » selon laquelle il y a plusieurs âmes cohabitant en l’Homme. Celles-ci délibèrent pour imposer un moi hégémonique qui définira le contour de sa personnalité, jusqu’à ce qu’un autre moi prenne sa place...

Pierre-Henri Gomont, dessinateur et accessoirement scénariste, a non seulement donné corps au personnage de Pereira avec un certain brio, mais s’est complètement approprié ce livre d’un auteur engagé, démontrant indubitablement son admiration pour ce dernier. Gomont reprend les codes du neuvième art avec originalité et humour en se gardant de tout académisme. Il possède un trait semi réaliste flamboyant et dynamique, restituant avec bonheur, grâce à une colorisation très bien sentie, l’ambiance chaude et lumineuse de la « ville aux sept collines » avec son tram sillonnant le quartier pittoresque de l’Alfama. De façon nuancée, il a su rendre le personnage pataud de Pereira attachant dans ses questionnements existentiels et son obsession pour la mort.

Avec « Pereira prétend », ce bédéaste au style très affirmé n’en est pas à son coup d’essai (il s’agit de son sixième album depuis 2011) et n’est pas très loin du coup de maître… Cette adaptation réussie n’est d’ailleurs pas passée inaperçue lors de sa sortie en 2016, récompensée notamment par le Grand prix RTL de la bande dessinée. Un auteur que l’on va donc forcément suivre avec intérêt…

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 29 octobre 2018