De l'urgence d'être conservateur - Territoire, coutumes, esthétique, un héritage pour l'avenir
de Roger Scruton

critiqué par AmauryWatremez, le 23 octobre 2016
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
les mots qui fâchent
Conservateur, le mot est encore en 2016 entaché de multiples connotations des plus péjoratives. L'auteur de ces lignes lui-même, pourtant estampillé réac décomplexé pur jus, se sent un peu mal à l'aise en l'écrivant. Il faut avouer que l'idée de progrès continu des sociétés ce qui suppose des transformations inéluctables est tellement martelée depuis des décennies qu'elle finit par marquer les esprits y compris les plus rétifs à ce concept. C'est assez étrange puisque Roger Scruton le souligne pertinemment conservateur tout le monde l'est plus ou moins à divers degrés à commencer par les personnes de gauche ou libertaires en particulier lorsqu'elles prétendent défendre les fameux acquis sociaux.



L'auteur dont la démarche est d'une rare honnêteté intellectuelle commence par évoquer son parcours, d'où il vient, ce qui le motive dans l'écriture de cet ouvrage. Il montre ainsi que personne n'a des convictions forgées de manière monolithique, que personne n'est politiquement blanc ou noir, que c'est une infinité de nuances de gris qui prévaut. Il raconte sa vie de famille, son père socialiste mais attaché néanmoins à sa terre et à son héritage culturel, l'amour de la glèbe anglais qu'il a transmis à son fils. Il expose finalement ce qu'est être véritablement conservateur loin des idées reçues et des préjugés. Et son raisonnement est brillant.



Dans nos sociétés, et ce depuis un peu plus de deux siècles, depuis les "Lumières" en particulier progresser signifie obligatoirement faire table rase du passé, de toutes ses composantes honnies, haïes, rejetées. La transmission des valeurs, d'une culture, d'idéaux est considérée comme pesante et arbitraire, frappée de l’infamante accusation de valeur bourgeoise. Elle ne ferait que reproduire des préjugés et des paradigmes sociaux paternalistes, des comportements trop marqués par la tradition religieuse forcément obscurantiste aux yeux des élites. La famille traditionnelle elle-même, un père, une mère, éventuellement des enfants, ne serait plus qu'un genre de modèle parmi d'autres. L'Histoire ne commencerait véritablement qu'à la Révolution de 1789, celle-ci s'accomplissant surtout en Mai 68 ou 81, au moment des lois sur le PACS ou le "mariage pour tous", réputé tout d'abord pour tout le monde alors qu'il était prévu dés le départ pour les seuls homosexuels.



L'Éducation elle-même ne devrait plus être confiée qu'à des institutions extérieures aux parents pour le bien des jeunes. Ceci est réfléchi afin de les libérer le plus tôt possible des pesanteurs supposées de ceux qui ne sont que leurs géniteurs. L'identité sexuelle des chers bambins ne serait plus d'ailleurs qu'une des constructions mentales imposées par une pensée trop conservatrice. Cela suppose de forcer les petits garçons à jouer à la poupée et les petites filles aux "Transformers" ou à "Ninjago". il suffit de se rappeler de cet "arbre de Noël" tenté par les journalistes du "Petit Journal" qui procédèrent ainsi, les gosses prirent cela pour une bien mauvaise blague. On s'étonne encore, il s'agit là aussi de remplacer un arbitraire par un autre. Mais ce nouvel arbitraire devant nous mener vers le progrès, il serait indispensable de l'imposer. Pour notre bien évidemment et même si c'est contre notre volonté. Il n'empêche que l'arbitraire engendré ou non par de bonnes intentions demeure un arbitraire.



Ce rejet du conservatisme selon Scruton s'étend même au rejet de l'ancien art de vivre dans tous ses aspects, de la conversation à l'art de recevoir ou de bien manger devant une gymnastique "hygièniste" et rien d'autres. La notion d'art de vivre en elle-même est frappée d'opprobre, elle serait porteuse de pesanteurs insupportables, de marqueurs sociaux lourds et pesants. Il serait nécessaire de remplacer le tout par le "festivisme" constant. La convivialité, le plaisir d'être ensemble ne sauraient se concevoir qu'absolument collectifs à chaque fois au risque d'être moralisés voire judiciarisés quand ce n'est pas interdit. Et il faudrait que la fête, la joie aient un but civique ou citoyen selon la définition de la citoyenneté selon le dogme progressiste bien sûr.



Et il faudrait parler de "fooding", de "drinking". Parler anglais c'est plus sûr pour marquer que l'on est aussi un "citoyen du monde" et non un nostalgique des nations, ces vieilles choses "poussiéreuses".