Lucie ou la vocation
de Maëlle Guillaud

critiqué par Hcdahlem, le 14 octobre 2016
( - 64 ans)


La note:  étoiles
Lucie ou la vocation
Il en va de certains romans comme pour certaines spécialités culinaires : on n’est pas trop sûr de vouloir essayer tout en se disant que l’on passe peut-être à côté de quelque chose de délicieux. Je dois à la sélection proposée par les «68 premières fois» la découverte ce premier roman étonnant à bien des égards et qu’il ne me serait jamais venu à l’idée d’acheter. L’histoire d’une jeune fille qui choisit de consacrer sa vie à Dieu en entrant dans les ordres n’est a priori pas fait pour m‘enthousiasmer outre-mesure.
Mais si le premier roman de Maëlle Guillaud mérite le détour, c’est qu’il est bien plus que cela. Au fil des pages la quête spirituelle va se transformer en enquête, l’amour de Dieu en une réflexion sur la «vraie» vie de cette communauté. Disons-le tout net, le livre est de plus en plus passionnant au fil des pages.
Quand Lucie décide d’abandonner ses études supérieures pour «se marier avec Dieu», c’est l’incompréhension qui domine. L’incompréhension de sa famille, sa mère qui imaginait un tout autre avenir pour sa fille, sa grand-mère qui va la perdre à tout jamais, l’incompréhension pour son amie Juliette, qui va tenter à plusieurs reprises de lui faire changer d’avis : « Je dois la convaincre que la vraie vie est ailleurs. Dans les baisers, l’amour, la maternité, tous ces instants qui embellissent nos nuits et nous portent vers autre chose qu’une cellule austère et un époux qu’elle ne pourra jamais toucher. » L’incompréhension du lecteur aussi qui partage les interrogations de ses proches. Comment peut-on s’orienter vers un tel choix sans éprouver le moindre doute ? N’y-a-t-il pas quelque chose de l’ordre de l’emprise sectaire dans l’attitude des religieuses et du père Simon, un jésuite qui lui explique combien son engagement est merveilleux, qui explique à Julie que «le monde qui s’ouvre à toi est d’une beauté dont tu n’as pas idée», qui la pousse à tous les sacrifices.
La jeune fille ne fera pas marche arrière : « Je me souviens, maman. Je t’ai vue tellement souffrir. Je refuse de commettre la même erreur. J’ai choisi la solitude. Je refuse de dépendre de quelqu’un. De me perdre dans le désir, dans tout ce qu’il a d’imprévisible, de sauvage. »
Les premières semaines, les premiers mois de celle qui deviendra Sœur Marie-Lucie vont bien se passer. Elle s’engage totalement dans cette nouvelle vie, n’a de cesse d’apprendre, de tout partager pour l’amour de Dieu. Elle va jusqu’à trouver Juliette puérile dans son combat pour la faire changer d’avis. Les années passent et petit à petit un malaise s’installe. Car plus on s’élève dans la hiérarchie, plus on en apprend sur les principes de gestion d’une telle communauté, sur le caractère des mères supérieures et sur les petits secrets des unes et des autres. Et il y a là bien de quoi ébranler les certitudes. Comment posséder quelque chose quand on a fait vœu de pauvreté ? Pourquoi faut-il tout noter, quelles remarques peuvent faire des religieuses qui sont censées ne pas parler ? Quelle confiance accorder à une personne qui vous ment ostensiblement ?
Vient alors pour Sœur Marie-Lucie l’heure de la remise en cause et pour nous, pauvres lecteurs, le basculement du roman d’une vocation vers un thriller au suspense haletant.
Laissons le voile du mystère se lever et saluons la jolie performance de Maëlle Guillaud !
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Lucie ou la vocation 8 étoiles

Ce premier roman de Maëlle Guillaud, paru en septembre 2016, vient d’être réédité en format « poche » aux éditions du Point. C’est l’occasion de le lire, car il est excellent et semble parfaitement documenté, à telle enseigne qu’on se demande, en le lisant, s’il ne comporte pas une part d’autobiographie. En tout cas, l’auteure connaît manifestement les rouages de la vie conventuelle, elle les décrit avec justesse et précision.
Au début du roman, ce sont deux jeunes filles étudiantes en khâgne, Lucie et Mathilde, avec qui le lecteur fait connaissance. Les contraintes d’horaires et de travail inhérentes aux classes préparatoires pèsent sur Lucie qui, dans le même temps, fréquente assidûment une communauté religieuse de sœurs contemplatives. Guidée par Mère Marie-Thérèse, la supérieure du couvent, ainsi que par le Père Simon, un jésuite, la jeune fille est orientée (peut-être déjà avec un soupçon de manipulation) vers un engagement au sein de cette congrégation.
Un séjour à l’intérieur même du couvent confirme l’appel que perçoit Lucie. « L’amour du Seigneur [l’]enveloppe » (p. 22) au point que, bientôt, sa décision est prise : elle veut devenir religieuse et entre sans tarder au sein de la communauté. Quelques mois plus tard, démarre son noviciat. Elle prend le nom de sœur Marie-Lucie. Juliette, une autre de ses amies, est présente à cette cérémonie et l’observe d’un œil critique et apeuré. Tout au long du récit, la romancière lui donne la parole : Juliette, c’est celle qui ne comprend pas le choix de vie de Lucie et s’en préoccupe.
Juliette a-t-elle raison d’appréhender l’option radicale faite par Lucie ? Oui et non. La suite du roman nous fait découvrir de l’intérieur la vie dans cette communauté religieuse et le moins qu’on puisse dire c’est que la réalité ne correspond que bien peu aux idéaux tels qu’on peut les concevoir au seuil de l’engagement. Triste réalité qui, malheureusement, n’est pas uniquement une réalité de roman, mais pourrait être constatée de manière effective derrière les murs de plus d’un couvent.
Comme le constate amèrement sœur Marie-Lucie à la page 111, « rien ici ne ressemble à ce qu’elle imaginait. Elle se voyait étudier la théologie, la philosophie, prier avec ferveur, aimer profondément ses sœurs. Elle se voyait au cœur d’une élite spirituelle. Dans une délicieuse union avec le Créateur. La vérité est bien en deçà. ». Dès les débuts, il a fallu déchanter : elle a senti qu’il y avait de la tension dans l’air au sein de la communauté, qu’il fallait courber l’échine devant la mère supérieure, voire accepter des humiliations.
Sœur Marie-Lucie n’est au bout ni de ses peines ni de ses surprises. En quoi consiste le noviciat sinon à la formater pour qu’elle devienne une religieuse exemplaire, silencieuse, humble et surtout obéissante ! Le vœu d’obéissance qui lui semble le plus difficile des trois qu’il faut prononcer n’en est pas moins celui sur qui tout repose : un vœu qu’on peut d’ailleurs juger insidieusement perverti au point d’être changé en vœu de soumission !
L’entrée dans la vie religieuse a pour but de fabriquer des êtres nouveaux, officiellement totalement dévoués à l’amour de Dieu, en vérité insensibles et mesquins. Lorsque sœur Marie-Lucie a la surprise de voir arriver au couvent son amie Mathilde, elle aussi désireuse d’intégrer la communauté, elle constate rapidement qu’elle n’a plus affaire à la même personne : l’amitié n’a pas de place dans un couvent. Seule la règle est de mise et elle est implacable !
Bien d’autres déboires figurent au menu de ce roman. Je ne les détaillerai pas pour en laisser la surprise aux éventuels lecteurs. Disons que dans cette communauté religieuse qui donne l’apparence d’avoir rompu avec les usages du monde extérieur règnent beaucoup de mensonges et d’hypocrisie. La vérité, c’est qu’à l’intérieur du couvent on ne fait que copier le monde, mais en miniature : toutes les bassesses, tous les jeux de pouvoir, toutes les médiocrités sont là, comme dans le monde, mais l’on fait tout pour les étouffer et pour que rien ne se sache à l’extérieur et cela avec la complicité des autorités de l’Eglise, toujours apeurées devant la perspective de quelque publicité déplaisante qui défraierait la chronique des médias.
Que devient sœur Marie-Lucie dans tout ça ? Le pire, c’est que la voilà devenue, elle aussi, manipulatrice, elle qui souffrait tant de constater ce dévoiement lorsqu’elle faisait ses premiers pas dans la congrégation. Mais les rouages de certaines institutions sont bien conçus et il est difficile de s’en échapper quand on s’y est laissé prendre. Sœur Marie-Lucie en vient à se dire qu’elle devrait partir. Mais le peut-elle vraiment ?
S’agit-il donc d’un roman à charge pointant les dévoiements possibles (et malheureusement trop fréquents) de la vie religieuse, ainsi qu’une conception pervertie du vœu d’obéissance entraînant de terrifiants abus de pouvoir et une inacceptable emprise morale sur des êtres fragilisés par ce qui ressemble à un embrigadement ? Oui, il y a de tout cela dans ce roman, mais on ne peut le limiter à ces dénonciations (par ailleurs totalement justifiées). En vérité, il s’agit plutôt d’un roman de l’ambiguïté. La romancière a su nuancer son propos. Car la vocation de sœur Marie-Lucie, même sujette à beaucoup de tourments, de déceptions et de doutes, n’en semble pas moins réelle. Le malheur, c’est qu’une vocation, au départ si belle, si noble, soit comme condamnée à être corrompue par les usages pour le moins équivoques d’une communauté obsédée par l’observance d’une règle et le maintien de traditions à la fois dérisoires et avilissantes. « Elle est devenue un pantin réglé et formaté à souhait », écrit amèrement la romancière à la page 188 au sujet de son héroïne. Triste constat, triste réalité que ce roman met opportunément à jour.

Poet75 - Paris - 67 ans - 13 mars 2018