Le sourire de l'ange
de Émilie Frèche

critiqué par Clarabel, le 29 mars 2004
( - 48 ans)


La note:  étoiles
Très beau, très grave, une belle leçon d'Histoire
"L'opération consiste à coincer sa victime. La neutraliser. Le geste est délicat, le 'poisson' ne doit pas gigoter. Une fois l'individu bien calé -contre un mur ou une voiture-, il suffit de lui inciser les commissures des lèvres à l'aide d'un cutter. Les entailles n'ont pas besoin d'être larges, elles doivent être profondes. Le sang coule. L'ange entrevoit ce qu'il lui arrive, son visage se crispe. Il faut alors être rapide, efficace, tenir un demi-citron à portée de main. (...) Sur la chair à vif, de l'acide! L'ange hurle, déchire le silence, ouvre grand sa gueule... malheur à lui! "

Loin d'être angélique, "Le sourire de l'ange" résume cette barbarie pratiquée dans la cité de la banlieue de Mulhouse, là où vient d'atterir Joseph Vidal, jeune adolescent orphelin de ses deux parents. Il débarque de Tel Aviv, il débarque chez son grand-père qu'il ne connaît pas. "Je savais qu'il était communiste, que sa femme était morte en couches, le laissant seul pour élever ma mère, qu'il vivait dans un coin de la France où il fait toujours froid." Ce grand-père qui a renié la mère de Joseph, laquelle a pris la fuite en Israël où elle s'est mariée et a fondé une famille. Et puis, ses parents meurent tragiquement, brusquement. Le jeune Joseph est envoyé en France. Premier pas dans un coin de France gris, glacial et impitoyable: une cité d'hlm prête à exploser, un petit univers où les conflits israelo-palestiniens exacerbent les passions et les castes, à en remplir tristement et platement les colonnes des faits divers.
Là, Joseph débarque, jeune juif, mais avant tout israélien dans la peau. Encore marqué par son déracinement, il entre au lycée sous une autre identité: Joseph devient Pierre, c'est mieux ainsi, pense son grand-père. Il fait la connaissance des jumeaux Mélik et Leila, tous deux musulmans, et sur un malentendu leur amitié se noue. Trop tard pour reculer, trop tard pour avouer, Joseph est pris au piège, il le pressent. "Un juif peut-il être ami avec un arabe?"
Lui veut y croire. Mais dans cette banlieue de l'est de la France, la communauté musulmane prend parti contre la communauté juive, responsable aujourd'hui des crimes atroces perpétrés en Palestine, "contre leurs frères". Le malaise va monter. Et l'amour aussi.
Leila et Joseph : une histoire impossible?...

Les événements vont enfler, la vague de haine va avaler toute cette communauté. Joseph expose les faits: la lente montée de l'antisémitisme en France, qu'on refuse d'admettre et de défendre, la révolte des immigrés musulmans contre le système qui a refusé l'intégration de leurs parents et qui demande à ces enfants aujourd'hui de faire partie du système. Les événements d'ailleurs qu'on transporte dans ces cités construites sur de la dynamite et qui, bien entendu, s'enflamment, lynchent et accusent les victimes d'hier transformés en bourreaux désormais...
Mais qu'en savent-ils tous, semble se poser Joseph. Lui transpose la réalité de Tel Aviv, témoin écorché et victime condamnée à l'avance. La réalité d'ici et de là-bas, c'est du pareil au même ?...

Emilie Frèche signe un roman grave et tragique, "un roman d'apprentissage qui éclaire un problème de société avec subtilité". En complément de vos manuels d'histoire, n'hésitez pas lire "Le sourire de l'ange". Emouvant, vrai et sensible.