Continuer
de Laurent Mauvignier

critiqué par Lucia-lilas, le 24 septembre 2016
( - 57 ans)


La note:  étoiles
En avant !
Le livre s’ouvre sur Samuel et Sibylle se réveillant entourés d’hommes agressifs et menaçants. Ils sont au Kirghizistan, Asie centrale. Ces individus veulent peut-être leur voler leurs chevaux ou les tuer, ça aussi c’est possible. Le danger est là, c’est évident et ils ont peur. Pourtant Sibylle murmure à Samuel qu’il faut continuer. Elle se le dira souvent, très souvent…
Sibylle est la mère de Samuel. Ils vivent à Bordeaux depuis son divorce. Samuel ne va pas bien, il sombre peu à peu dans la délinquance. Ils ne communiquent plus, ne se regardent même plus. Elle perd son fils, elle le sent.
Alors, avant qu’il ne soit trop tard, elle prend une décision pour le sortir de là où il est en train de sombrer : ils vont partir au Kirghizistan, acheter des chevaux et parcourir le pays, traverser des paysages sublimes, vivre des expériences fortes, rencontrer des gens et laisser tout le reste derrière eux. Elle vend sa maison d’enfance, celle à laquelle elle tenait tant.
Le père de Samuel, averti du projet, rit au nez de Sibylle: quelle expérience stupide ! Elle qui a failli mourir en Corse lors d’une simple rando va traverser des espaces inconnus, sauvages, dangereux et tout va bien se passer ? C’est ridicule ! D’ailleurs, dit-il à Samuel, sa mère n’a jamais eu que des projets foireux de ce genre, tout ce qu’elle fait échoue. Encore une preuve de sa médiocrité ! Il demande à son fils de lui envoyer un SMS si quelque chose tournait mal, ce dont il ne doute pas.
Et ils partent.
Ce livre est mon coup de cœur de la rentrée littéraire : il m’a bouleversée. Et si j’en ai aimé d’autres, le livre de Karine Tuil par exemple, je place celui-ci au dessus. Pourquoi ?
Tout d’abord parce que j’en ai aimé l’écriture. Lorsque Mauvignier décrit des chevaux qui galopent, la phrase en fait autant, elle se fait mouvement, course, vitesse, elle traverse l’air, la poussière, se heurte aux cailloux, aux rochers, contourne les arbres, traverse les cours d’eau. La phrase devient chemin, épouse le parcours accidenté de la route, s’ouvre à la beauté absolue des paysages. C’est superbe, magnifique, splendide. Sueur et souffle des bêtes et des hommes se mêlent. Ils sont unis dans ce que l’on appelle la vie et que l’écriture rend si merveilleusement.
Lorsque l’auteur évoque les sentiments des personnages, leurs émotions, la phrase fouille leur âme, se faufile au plus profond d’eux-mêmes, dans l’intime de l’intime. Je repense à des scènes fabuleuses, impossibles à oublier, des moments forts et sensuels entre la mère et le fils, celui qu’elle veut ramener à la vie coûte que coûte, des scènes où l’on côtoie la mort dans une tension extrême, où l’on sent que la terrible prophétie du père va se réaliser. On a peur pour eux tandis que leurs pensées s’emballent, se cognent aux parois de la vie, se heurtent aux tranchants du monde, cherchant dans l’affolement et la terreur un sens à tout cela.
J’ai aimé aussi la construction narrative qui va permettre de livrer bribe par bribe des éléments du passé de Sibylle, femme blessée, meurtrie, épuisée mais encore capable de faire don de sa personne, de s’offrir à l’autre, son fils, et aux autres, aux gens de passage dont elle refuse d’avoir peur. Car c’est aussi ce que dit ce livre : l’autre, l’étranger, celui que l’on ne connaît pas est une richesse. Des bons sentiments ? Non, du bon sens ! On ne peut pas vivre en se haïssant ou l’on finit par s’entre-tuer…
Ainsi, cette femme va-t-elle pouvoir mener à bout ce projet et à quel prix ? Samuel est-il capable de changer ou va-t-il rester ce garçon mutique, les écouteurs vissés aux oreilles, enfermé dans sa haine de l’autre ? Vont-ils, l’un et l’autre, tels deux pauvres désarçonnés de la vie, parvenir à remonter en selle et poursuivre leur aventure sur le chemin de l’existence ? Et puis, qui est Sibylle au fond, que cache-t-elle de si douloureux qui l’empêche de vivre ?
Le roman se fait livre d’aventures, exploration de territoires physiques et psychologiques, découvertes de terres et d’âmes, plongée dans ce monde inconnu, celui du cœur des hommes, des bêtes et des espaces que l’on traverse.

Un hymne à la vie, à l’amour, une invitation à poursuivre malgré les épreuves individuelles et collectives… Comme ça fait du bien…
En cette période de prix littéraires, sachez-le, mesdames et messieurs, membres de jurys, s’il n’y en avait qu’un à prendre, je prendrais celui-là.
D'une beauté incroyable 8 étoiles

Il faut lire ce livre pour deux raisons : parce qu’il décrit l’immense amour d’une mère pour son fils et parce qu’il nous emmène voyager à travers les magnifiques paysages du Kirghizistan.
Sibylle comprend qu’il est temps d’agir : son fils Samuel, en pleine crise d’adolescence, est en train de se détruire. Elle déploie des trésors d’imagination pour le sortir de sa torpeur, allant jusqu’à tenter le projet fou de partir plusieurs mois avec lui à cheval au Kirghizistan pour lui redonner le goût de vivre. Ce goût, elle aussi l’a perdu depuis bien longtemps, plus jeune, alors qu’elle avait tout pour réussir. Sa tragédie nous est dévoilée alors qu’elle se remémore sa jeunesse au cours du voyage. L’amour maternel lui donne à présent des ailes et lui permet de trouver la force en elle pour empêcher son fils de sombrer. Parce qu’elle voit bien qu’il a cette haine et cette violence au fond de lui qu’elle ne s’explique pas, ou peut-être un peu finalement. Le père de Samuel a une image tellement fausse de son ex-femme qu’il rabaisse sans cesse ; elle est pourtant incroyablement courageuse.
On explore avec ce duo la beauté des paysages et la culture de ce pays : les montagnes, les chevaux, les yourtes, l’hospitalité kirghize, … Une évasion qui n’est pas sans risque et constitue un mode de vie qui permet « d’aller vers l’autre » qu’au final Samuel finit par intégrer. Mère et fils passent de bons moments ensemble, même s’ils parlent très peu, ils vivent des instants intenses dans la nature où ils doivent subvenir à leurs besoins, font des rencontres, traversent de rudes épreuves. Au début scotché à ses écouteurs, on note le changement progressif de Samuel, même s’il reste une douleur sourde à l’intérieur, comme s’il ne voyait sa mère que comme telle et que dès lors qu’elle est autre chose – une femme, une épouse – ça le rend furieux.
« D’une certaine manière il a de l’admiration pour elle. Là, maintenant, pour ce qu’elle est, ce qu’elle fait, il serait prêt aussi à croire qu’elle l’aime assez pour avoir sacrifié une maison à laquelle elle tenait, en Bourgogne, et cette idée lui traverse l’esprit que tout ce qu’elle fait c’est pour l’aider lui, c’est par amour pour lui, et cet amour, soudain, il sent que c’est toute sa motivation, toute sa raison à elle d’être ici ; alors à ce moment-là, il est au bord de reconnaître qu’il est bouleversé, il pourrait, oui, s’il n’avait pas si peur d’avouer qu’il aime sa mère, s’il n’était pas effrayé à l’idée de l’aimer – lui qui sait si bien qu’aimer et accepter est plus difficile que haïr et rejeter »
Autant j’ai trouvé la première partie du roman assez laborieuse, autant la deuxième m’a véritablement enchantée. J’ai passé les 30 dernières pages en apnée et en larmes, submergée par un flot d'émotions.
Continuer, c’est donc un magnifique portrait de femme et de mère, des émotions qui vont crescendo et d’une rare intensité. C'est d'une beauté incroyable !

Psychééé - - 35 ans - 15 mars 2021


Pas conquis 5 étoiles

Je suis surpris des superbes critiques que je viens de lire sur ce livre qui à mon sens promettait beaucoup mais tenait que très peu ses promesses.
Certes la psychologie de l’ado perdu, de l’ex mari condescendant (aïe, il me ressemble un peu) et volage sont assez juste, la mère courage très bien mais pour le reste ? En quoi cette virée à cheval a changé quoi que ce soit ? La mère se retrouve un peu au fil des rencontres dans ces grandes étendues, mais lui le fils est toujours distant et enfermé dans ses certitudes. Et surtout cette dernière partie, l’action du fils n’est pas compréhensible tout comme sa réaction après l’accident.
J’ai trouvé la structure du livre bien instable et qu’on ne sortait pas de ce côté casse-gueule que par une fin bien poussive.

Yeaker - Blace (69) - 50 ans - 21 avril 2020


Un passage difficile 10 étoiles

Sibylle est épuisée. Infirmière, elle élève seule son fils Samuel, adolescent renfermé. Alors qu'elle rentre tard de son travail, elle découvre la maison vide. L'inquiétude cède la place à l'affolement, à la terreur. Jusqu'au coup de fil.
Samuel et ses deux copains, alcoolisés, ont saccagé une villa et pire, ont tenté de violer une jeune fille.
Sybille demande, par amour pour son fils, à Benoît, son père, de descendre de Paris à Bordeaux.
Le couple n'entretient plus aucune relation ; Benoît méprise "la pauvre" Sibylle.
C'est pourtant elle qui aura le dernier mot ; après les passages chez le juge, l'éducateur, le psy, elle a décidé d'emmener pendant trois mois son fils faire le tour du pays de ses origines, le Kirghizistan.
Deux chevaux, deux tentes, de la nourriture lyophilisée et ce qui leur est le plus cher, un lecteur CD à piles pour l'un, un cahier à spirale pour l'autre.
Ce périple en tête à tête est pour eux l'occasion d'une introspection mais aussi de la découverte de l'autre.
Pour elle, l'occasion de faire le point sur ses ambitions manquées, ses futures attentes, tout ce qui lui était promis et qu'elle a perdu.
Pour lui, la haine, le mépris pour cette mère ratée, reproduisant les sentiments que son père a dressé de son ex-épouse.
"Samuel pense qu'il la déteste, qu'il ne veut pas lui ressembler. Il a honte, tellement honte, il éprouve une sorte de pitié dont il a honte aussi.
Sa mère, sa mère, sa pauvre mère. Il voudrait qu'elle soit morte."

Des épreuves douloureuses, dangereuses, mais aussi des rencontres inattendues, feront évoluer ces deux solitudes.
L'adolescence avec cette ambivalence de sentiments, ces contradictions, cette confrontation épuisante entre ce que l'on croit, ce que l'on veut croire et ce que l'on voit, est formidablement racontée.
Ainsi qu'être mère d'un adolescent avec toute la patience nécessaire, l’amour "absolu" mis à rude épreuve, le désemparement, le découragement qui épuisent ; c'est aussi le renvoi à sa propre jeunesse, le questionnement sur ses rêves, ses promesses non tenues.
Peu de dialogues mais de longs monologues bouleversants.
Le roman à deux voix est d'une grande justesse ; il arrive même que devant l'inconscience, l'égoïsme, la folie de l'un ou l'autre. le lecteur s'exaspère.
Inoubliable et captivant, rares sont les mots qui ne sonnent pas justes.

Marvic - Normandie - 65 ans - 9 février 2018


Métamorphoses 9 étoiles

L'écriture est superbe, à la mesure des paysage sauvages décrits dans le roman. Elle fouille les replis de l'âme de deux personnages blessés à vie, mère et fils après un divorce malheureux, et pour Sibylle les souvenirs d'un bonheur perdu dans de terribles circonstances. Ce sont trois mois de "survival" à cheval à travers les magnifiques paysages du Kirghizistan, pays lointain et insolite, au climat terriblement hostile mais aux populations villageoise accueillantes et solidaires, qui remettront en selle ces deux rescapés de la vie moderne qui les a détruits.

Elle espère faire retrouver à son fils Samuel des valeurs qu'elle a le sentiment d'avoir raté de lui inculquer. Ils doivent réapprendre à s'apprivoiser. Ils se retrouvent dans des conditions extrêmes, doivent se mesurer aux éléments d'une nature implacable et à des dangers imprévus. Le rythme est haletant. L'entreprise semble désespérée... L'épopée personnelle est héroïque. De manière instinctive, Sibylle sait qu'il faut "continuer" à tout prix! Question de vie!

"Si on a peur des autres, on est foutu. Aller vers les autres, si on ne le fait pas un peu, même un peu, de temps en temps, tu comprends, je crois qu'on peut en crever. Les gens, mais les pays aussi en crèvent, tu comprends, tous, si on croit qu'on n'a pas besoin des autres ou que les autres sont seulement des dangers, alors on est foutu. Aller vers les autres, c'est pas renoncer à soi." Les pages 231 et suivant sont des pages tellement belles que l'on voudrait les apprendre par cœur comme viatique. Probablement un sommet de tendresse, de sagesse et d'humanité.

La confrontation avec la nature sauvage et la générosité des habitants ainsi que la symbiose avec les magnifiques chevaux finissent par faire tomber tous les masques et métamorphoser le fils rebelle en une personne qui retrouve enfin toute sa dignité humaine. Le souffle épique sert d'énergie, ainsi que le verbe retrouvé qui circule entre entre mère et fils, dès le moment où les choses essentielles montrent enfin leur visage.

Deashelle - Tervuren - 15 ans - 19 janvier 2018


Se perdre pour se retrouver 10 étoiles

Un roman magnifique, puissant, poignant , qui vous enlève dès les premières pages, vous emmène au galop dans les grands espaces du Kirghisistan et ne vous lâche plus .

Conjuguant l'aventure intérieure et l'équipée à cheval avec ses nombreuses péripéties , il évoque le parcours initiatique de deux êtres broyés à la recherche d'une relation plus apaisée .

Mauvignier traduit avec justesse et sensibilité le malaise de l'adolescence , mais aussi les tourments d'une femme hantée par les fantômes d'un passé dont il distille des informations tout au long du récit . S'il plonge le lecteur au plus profond des souffrances de ses deux personnages , il l'ouvre en même temps à la connaissance du peuple kirghize , semi-nomade et hospitalier .

Son écriture rythmée, énergique, pleine d'élan, aux phrases souvent longues et syncopées est de celles qui immergent le lecteur et le tiennent en apnée jusqu'à la dernière ligne .

Je me demande encore pourquoi un tel roman n'a pas été primé cet automne …....

Alma - - - ans - 27 mars 2017


Toujours plus 10 étoiles

Je ne m'attarderai pas sur l'histoire de ce roman, les critiques précédentes l'ont largement et avec justesse décrites. Il y a très longtemps qu'un roman d'une telle qualité ne m'était tomber entre les mains . Je conseille sa lecture à tous les lecteurs de Critiques libres . En 239 pages l'auteur soulève de nombreux sujets , crise de l'adolescence , le divorce , le deuil, les problèmes de racisme en France. Continuer, oui pour ne pas sombrer Laurent Mauvignier nous entraîne très loin dans la reconstruction de Sibylle la mère et de son fils Samuel.Les choses n'arrivent pas par hasard, et quel courage pour atteindre les objectifs , que d'efforts. La réussite est au rendez-vous avec beaucoup d'obstacles franchis, parcours douloureux , épreuves difficiles à franchir, au risque de perdre la vie et pourtant dans le but de gagner la vie. Lisez ce roman d'une telle qualité. Bravo à l'auteur.

Stradivarius - - 82 ans - 21 février 2017


Continuer 8 étoiles

Durant les vingt premières pages du nouveau roman de Laurent Mauvignier, on vit au rythme d’une expédition à cheval dans les plaines et les plateaux du Kirghizistan.
Sybille a choisi d’emmener son fils Samuel dans cette région d’Asie centrale pour partager avec lui sa passion pour la randonnée, mais aussi pour lui faire changer d’air. Car Samuel file un mauvais coton. Retour quelques semaines en arrière.
Look de skinhead, désœuvrement, alcool et drogue, sans oublier la dernière virée dans une villa de Lacanau et cette tentative de viol qui lui vaut de finir à la gendarmerie.
Sybille, qui élève seule son fils, est également au bout du rouleau. Depuis son divorce, elle se laisse aller, n’a plus vraiment goût à rien. C’est un peu en désespoir de cause qu’elle appelle son ex-mari Benoît à la rescousse. Qui, une fois de plus, ne partage pas son avis et refuse de l’aider, même financièrement : « Ton fils fait des conneries et toi au lieu de le foutre en pension avec des gens qui sauront lui tenir la bride, eh bien, non, madame veut lui donner le goût de l’air libre et partir… »
Aussi décide-t-elle de vendre sa maison en Bourgogne et ne laisse pas vraiment el choix à son fils. Soit il l’accompagne, soit c’est la pension.
Toutefois, le Kirghizistan n’a rien du Club Med. Après avoir réussi à se débarrasser de voleurs de grand chemin, la mère et son fils doivent affronter un terrain hostile.
Sur un sol devenu spongieux, au milieu des glaces, ils évitent de peu la mort. C’est, pour Samuel, le moment d’appeler au secours. Car il a promis à son père qu’en cas de danger il serait prévenu.
Mais les quelques jours de voyage, les conditions de vie spartiates, le quotidien avec les chevaux ont fait leur effet. Il va mieux, Sybille le sent : «C’est-à-dire lentement, doucement, les choses apparaissent, il revient vers la vie, ou plutôt il commence, pas à pas, à accepter de prendre le temps de regarder autour de lui ; c’est comme si tout à coup il découvrait qu’un monde existe qui n’est pas lui, dont il n’est pas le centre. »
Voilà qui met un peu de baume sur les blessures d’une mère, dont on va comprendre au fil des pages le lourd passé. Les cauchemars qui l’accompagnent et cette sensation d’être passée à côté de sa vie.
Comme dans son précédent roman, Laurent Mauvignier utilise l’histoire récente, le fait divers, cette fois il s’agit de l’attentat du 25 juillet 1995 dans la station Saint-Michel de la ligne B du RER parisien, pour construire son scénario.
On comprend dès lors combien ce voyage est autant pour le fils que pour la mère l’occasion d’une délicate introspection. Avec le sens de la tension dramatique qu’on lui connaît, l’auteur alterne les phases d’espoir et celles de doutes, les épisodes qui rapprochent avec ceux qui éloignent. Je ne dirai rien de l’épilogue, sinon que nous sommes loin d’un Happy end romantique. Car toujours, il faut continuer.
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Hcdahlem - - 64 ans - 27 septembre 2016