Faire mouvement : entretiens avec Mathieu Potte-Bonneville
de Éric Hazan, Mathieu Potte-Bonneville

critiqué par Pjb33, le 23 septembre 2016
(Bordeaux - 72 ans)


La note:  étoiles
portrait d'un intellectuel de haute volée
Notre monde contemporain est, particulièrement en France, dominé par des intellectuels de seconde zone, qui ont investi les médias où ils pérorent à longueur d'écrans ou de colonnes de journaux, en s'auto-proclamant experts (ils sont souvent interchangeables), et dont la faiblesse d'expression et de pensée éclate aux yeux des plus avertis.
Je dois dire que ça fait du bien de lire un intellectuel plus modeste, en tout cas, plus discret, mais qui pèse ses mots, et dont chaque livre importe beaucoup.
Dans "Faire mouvement" (quel beau titre) ce livre d’entretiens avec Mathieu Potte-Bonneville, l’écrivain et éditeur Éric Hazan revient sur son parcours intellectuel et professionnel (il fut chirurgien, avant de prendre la suite de son père, éditeur d'art, et de créer La Fabrique, sa propre maison d'édition, après le rachat de Hazan par Hachette), son parcours engagé aussi, notamment auprès des Palestiniens, et poursuit son analyse des mécanismes de domination, entamé dans "Chronique de la guerre civile".
Il y dénonce la propagande, les fausses représentations de l’histoire (il fustige ainsi "le souvenir attendri de la IIIe République, dont on oublie la naissance honteuse avec la répression de la Commune sous l'œil des Prussiens et la fin tout aussi honteuse avec la reddition au maréchal Pétain à Bordeaux en juin 1940"), les consensus mous, l'arrivisme de pseudo-intellectuels (il préfère de loin "des amis qui résistent en risquant leur carrière, leur réputation, leur poste, alors qu'il leur serait si facile de se mouler dans la gauche molle, d'avoir bonne conscience à peu de frais") ou la politique à courte vue ("la loi sur le voile a été votée, si ma mémoire est bonne, par la droite et la gauche unies dans l'hypocrisie dans la défense de la République contre les collégiennes").
Mais ce livre, c'est d'abord, en filigrane, le portrait d'un homme saisi dans sa soixante-dixième année : il y montre la variété de ses intérêts. C'est la politique, au sens le profond du terme qui structure son identité, à partir de prises de position engagées sur la guerre d'Algérie (soutien direct au FLN), celle du Vietnam, la lutte pour la liberté de l'avortement (là, c'est le médecin engagé) ou aux côtés des Palestiniens : "Si l'on décrit avec précision ce qui se passe dans les Territoires, on est obligé d'accepter la réalité : il n'y a pas de conflit israélo-palestinien, il y a une occupation militaire de la Palestine. L'armée d'occupation déploie une violence de type colonial contre un mouvement de libération". Plus loin, lui, pourtant Juif, et qui affirme son sentiment de bien-être dans les villes arabes, n'a pas peur d'affirmer : "chaque fois que le Hamas respecte une trêve d'une certaine durée, l'armée israélienne tue un ou plusieurs de ses dirigeants dans un « attentat ciblé », pour déclencher un attentat-représailles qui est le bienvenu pour légitimer de nouvelles opérations militaires".
Enfin, on trouvera ici son engagement en tant qu'éditeur, sa tentative de résister à la concentration de l’édition (il publie d'André Schiffrin "L'édition sans éditeurs", qui dénonce avec acuité ce phénomène), et son soutien à des auteurs palestiniens (Moustapha Barghouti, Edward Saïd) ou israéliens libres ou dissidents (Amira Hass, Ilan Pappé).
Un livre passionnant et passionné !