Nirliit
de Juliana Léveillé-Trudel

critiqué par Libris québécis, le 8 septembre 2016
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
The qallunaaq wants to fuck an Inuit
Chaque printemps ramène les rois de l’azur, comme l’écrirait Baudelaire. Quel spectacle de voir cette horde d’oies blanches descendre du ciel en respectant scrupuleusement la formation en V. Elles se reposent quelque temps le long du Saint-Laurent avant de resserrer les rangs afin d’atteindre le Nunavik pour s’y reproduire. En inuktitut, ces voyageurs ailés sont désignés sous le vocable de nirliit. L’auteure a choisi métaphoriquement ce terme en fonction de la horde de qallunaaq (les blancs) qui descendent sur les terres boréales avec Air Inuit en tant que géologue, ouvrier, travailleur social, infirmière… On y occupe un poste le temps d’une saison et on regagne le Sud le froid revenu.

La narratrice est une enseignante qui se rend à Salluit chaque été. Le roman tourne autour de son amie Eva, une Inuite disparue, dont on n’a jamais retrouvé le corps. Cette dernière lui avait communiqué son amour de son pays situé au sommet du monde, le 62e parallèle. Un territoire d’une beauté « en forme de coup de poing dans le ventre ». Vivre dans un immense désert de glace peuplé par une maigre population rend l’humanité plus lourde à porter. L’appel à l’aide n’est pas à portée de voix. Il faut se débrouiller avec les minces moyens du bord. En fait, on se sent prisonniers dans un espace aux hivers nocturnes et occupé surtout par des caribous qui n’ont pas été domestiqués (de l’algonquin, rennes).

L’héroïne veut se rendre utile dans cet univers inhospitalier, où les expédients tels que l’alcool ravagent la vie d’une jeunesse soumise à la violence et à l’abandon. Les enfants appartiennent à tout le clan qui s’en désintéresse. On les voit démolis, traînant leur carcasse dans les quatre rues de Salluit en quête d’une illusion qui les allumerait. Comme blanche conscientisée, elle se sent coupable de la richesse des villes riveraines du Saint-Laurent et, surtout, honteuse des hommes qui s’offrent « une parenthèse nordique » en laissant croire aux femmes inuites qu’ils les aiment. L’hiver venu, ils délaissent leurs amours pour retrouver leur chaumière bien chaude où les attendent femme et enfants.

Le roman dresse le tableau pathétique du Nunavik, où l’on vend des produits défraîchis, mais essentiels à l’existence, à des prix exorbitants. Cette population orpheline est dépouillée de ses richesses par des spoliateurs qui détournent les rivières, principales sources de leur nourriture, pour construire des barrages hydro-électriques à l’usage des blancs du Sud.

Ce parti pris justifié pour les Inuits ouvre les yeux sur une réalité occultée. Avec une plume vigoureuse, l’auteure décrit avec justesse le contexte défavorable dans lequel se débat la population boréale. Mais les sentiments empruntent des trajectoires labyrinthiques qui mènent partout et nulle part. Le dernier volet ressemble aux séries télévisées qui réduisent le contenu à des histoires d’alcôve. C’est vrai que l’on abuse des Inuites, surtout en leur laissant miroiter des lendemains meilleurs qui n’adviendront jamais. Les hommes blancs, lit-on souvent en anglais dans le texte, want to fuck an Inuit. Un point c’est tout. Bref, c’est un bon roman qui décrit une triste situation.
passionnant 9 étoiles

La critique principale étant très bien faite, je ne vais écrire que brièvement mes impressions :

Ce récit court est très dynamique, et l'écriture jolie.
On plonge dans l'univers du peuple Inuit actuel, et c'est passionnant. Le lecteur est plongé dans la nature humaine aussi, on ne peut en ressortir que grandi.

C'est un livre que je conseille à tous, un de ces livres qui nous suit longtemps une fois refermé.

Krys - France-Suisse - - ans - 1 avril 2017