Malaise dans la démocratie
de Jean-Pierre Le Goff

critiqué par Colen8, le 8 septembre 2016
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Des lendemains qui déchantent
Une quarantaine d’années après les Trente Glorieuses un sociologue tire le bilan. Pour lui le refuge cherché dans une « bulle angélique » n’a rien résolu ce qui explique le titre de son essai. Ayant qualifié « d’ancien monde » la période d’après-guerre où tout était à reconstruire, il cherche les progrès attendus depuis l’entrée dans « un nouveau monde » à priori porteur d’optimisme. La forte élévation du niveau de vie moyen concomitant de la croissance du PIB n’a pas empêché l’exclusion de la vie active et donc sociale des millions de gens touchés par le chômage. Loin d’être perçue comme une opportunité d’ouverture, la mondialisation est devenue synonyme d’injustice et d’inégalité.
L’individualisme épanoui dans la recherche d’hédonisme au détriment du bien commun a comme rompu les liens collectifs. Une contre-culture post soixante-huitarde fondée sur la transgression s’est fait jour jusqu’à être récupérée peu à peu par les institutions au détriment de l’autorité. L’éducation sous couvert d’un « droit à … » et d’idées brouillonnes sur les apprentissages a laissé en chemin une partie désorientée autant que démotivée de la jeunesse. L’inventaire continue sur la souffrance au travail, une société de la fête et du spectacle focalisée sur les arts de rue dans la contribution à la culture populaire, l’écologie malmenée, les spiritualités diverses plus ou moins bricolées, le communautarisme contraire au credo de la nation, la menace terroriste.
S’en tenir à des considérations aussi générales occulte quelque peu les fracturations multiples de la population, les oppositions entre générations avec le renversement de la pyramide des âges, entre urbains et ruraux avec la fin du monde paysan, les éternels clivages politiques, religieux, culturels, la diversité des origines entre autochtones et issus de l’immigration. Synthèse ou amalgame, chacun se fera son opinion.
Passéiste 4 étoiles

Le Goff avait déjà pointé son nez dans plusieurs ouvrages, dont "La fin du village". Son regret d'un monde passé, dont les caractéristiques semblent tant lui plaire, conduisent sa réflexion sur les soubresauts du monde actuel. Et, dans un sens, nombre de ses remarques - appuyées sur d'innombrables auteurs allant plus ou moins dans son sens - sont utiles à la réflexion sur les phénomènes en cause: sens de l'éducation , sens du travail, sens de la place de chacun dans la société, etc. Mon problème, à la lecture de ce livre parfois un peu jargonneux, est de le trouver bien trop orienté sur une sorte de glorification du passé et très insuffisamment nourri de l’intégration d'apports nouveaux. Son discours sur l'arrivée de l'Islam est, à ce titre, typique. Il est largement tourné vers les conséquences malheureuses du terrorisme et très peu vers l'intégration possible de ses apports à notre civilisation millénaire. C'est alors l'insuffisance de cet ouvrage qui me saute aux yeux, l'incapacité de son auteur à imaginer un monde nouveau issu des grands chambardements actuels. Malgré le grand nombre des références et la culture certaine qui imprègnent cet ouvrage, il se révèle d'une criante insuffisance. La culture nécessaire est celle des apports nouveaux et imprévus et des transformations en cours, tournée vers l'avenir tout en conservant l'héritage du passé. Que faut-il garder et pourquoi? Que faut-il abandonner et pourquoi? Avons-nous si bien vécu en Occident avec la colonisation, les fascismes et les guerres immondes du XX° siècle? L'auteur critique sévèrement l'angélisme de certaines positions - et il a raison - mais il fait aussi preuve d'un angélisme certain qui est, en fait, issu d'une profonde inculture face aux évolutions en cours et à l'imagination des lendemains. Comment s'y prendre pour qu'ils chantent? Ce n'est pas dans ce livre que le lecteur pourra trouver des réponses.

Falgo - Lentilly - 84 ans - 7 août 2017