L'affaire Jésus
de Henri Guillemin

critiqué par Saule, le 29 septembre 2016
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Un témoignage émouvant
Nul besoin de présenter Henri Guillemin : ce grand historien a donné le goût de l'histoire à une génération de petits belges avec ses chroniques historiques à la télévision. Ce petit essai, trouvé chez un bouquiniste pour la modique somme de deux euros, a dès lors attiré mon attention. Depuis cette trouvaille, j'ai lu et relu ce petit livre.

Un essai court mais dense. Il contient trois parties :

La première partie, "Le Nazaréen", est la partie historique. L'église s'était fanatiquement repliée avant Vatican II, en interdisant toute forme de critique historique des textes. Une attitude dommageable qui fit beaucoup de tort à nombre de croyants en laissant le champ libre à des Rénan et autre pour se livrer à des exégèses partiales. Ceci dit, à notre époque, on ne doute plus de la réalité historique de Jésus. L'auteur disserte sur ce qui est vrai ou pas dans les évangiles, les raisons pour lesquelles il y a eu des ajouts. Il aborde intelligemment la question de la résurrection (Jésus devient le Christ). Je n'ai pas trouvé de grandes révélations mais un état des lieux très bien fait et qui me semble a priori correct.

Avec la seconde partie, intitulée "Les obstacles", on voit que l'auteur qui se dit catholique (car il se refuse à quitter l'église) est fortement anti-clérical. Le premier obstacle dont il fait état, c'est l'église. L'argument est bateau mais il a raison et il l'expose bien : en prenant le pouvoir temporel l'église s'est reniée. Le deuxième obstacle c'est la doctrine et là il s'en donne à coeur joie : le credo, le dogme de la trinité, .. tout cela ne serait que des joyeuses fariboles qui emberlificotent le croyant honnête. Et pour finir il y a la question des miracles, un problème qui a détourné pas mal de gens de la foi chrétienne également, et qu'il traite assez bien.

La troisième partie, la plus intéressante, est intitulée "Le royaume". Cela semblera à nouveau bateau mais l'auteur le dit vraiment très bien : le message du christianisme se résume à cette phrase de Jésus "Le royaume est au-dedans de vous". L'auteur envisage ensuite la question de Dieu, du terme fils de Dieu et fils de l'homme. Il fait appel à des grands hommes pour étayer la discussion : Sartre, Jaurès, Hugo,.. tous ces gens ont beaucoup réfléchi et il semble qu'aucun n'était loin de reconnaitre l'idée d'une force ou d'une action qu'on serait finalement bête de ne pas nommer "Dieu".

Au final j'ai trouvé ce court essai vraiment très intelligent et j'ai appris pas mal de choses. C'est un texte personnel, une sorte de testament spirituel ou de témoignage. C'est bien écrit, étayé par une grande culture et une grande intelligence. Une lecture très enrichissante donc.
Surprise, oh ! surprise ! 8 étoiles

Henri Guillemin commence par nous parler du « Nazaréen ». Ça occupe la première moitié du livre et on a l’impression d’avoir déjà lu ça cent fois ! Il relève les différences entre les textes des Évangiles synoptiques, il met en doute l’identité des rédacteurs des Évangiles, il prétend que l’Évangile, dit de Jean, est une œuvre collective rédigée par les Pères de l’Église d’Alexandrie au IVème siècle, il affirme que ces écrits constituent « un arsenal de propagande » à des fins doctrinales et dont l’authenticité serait plus que douteuse… Bref, on a compris, les Évangiles c’est du bidon !

Il s’en prend ensuite à l’Ancien Testament qui n’est « qu’un ramassis d’emprunts aux légendes des différentes ethnies de l’époque », puis il prend au mot les textes de la Genèse et autres récits mythologiques de la Bible pour y trouver des contradictions avec les données de la science ; il nous démontre, par exemple, que la mer Rouge n’aurait pas pu s’ouvrir pour laisser passer les Juifs et que l’arche de Noé n’aurait pas pu contenir un couple de tous les animaux de la terre… Ah tiens ? Nous on croyait, merci Henri !

Il faut reconnaître à Henri Guillemin une érudition extraordinaire. Il semble qu’il ait tout lu, tout consulté, tout retenu. Mais je me demande s’il n’existe pas un répertoire de toutes les anomalies qu’on trouve dans les textes religieux. Parce que, dans tous les livres qui démolissent la religion, on trouve toujours les mêmes textes, les mêmes relevés, les mêmes arguments, les mêmes citations. A moins que tous ces livres ne se recopient les uns les autres à travers les siècles, allez savoir.
Laissons néanmoins, à Henri Guillemin, le bénéfice du doute et disons qu’il est un grand érudit, doublé d’un grand historien.

Dans la deuxième partie de son livre, il aborde « le lourd passé » de l’Église. Et on a droit, une fois de plus, aux bûchers de l’Inquisition, à la Saint-Barthélemy, aux massacres de Juifs, aux missionnaires persécuteurs, aux guerres de religions, aux indulgences, à l’infaillibilité… bref, tout y passe !
Je vous assure qu’il faut beaucoup d’abnégation pour tenir le coup.

Et ce n’est pas encore fini : après les faits historiques, il s’en prend aux papes, « ces parasites de l’Église ». Et comme ils ont été nombreux, on en sort avec une tête comme un tambour, d’autant plus que toutes ses affirmations sont confirmées par d’innombrables citations de Renan, Sartre, Rousseau, Ferry, Flaubert… plus tous ceux dont on a jamais entendu parler et qu’on se demande où Henri Guillemin a été les chercher.
C’est souvent le défaut des grands érudits : ils tiennent à ce qu’on sache qu’ils ont tout lu, tout vu, tout entendu.
Et maintenant c’est fini ? Oh non, ce n’est pas fini ! Il a encore étudié tous les textes de tous les conciles pour y trouver des contradictions et donc, les dogmes c’est du n’importe quoi... !

Allez ! Courage, il reste 20 pages ! Et, tout à coup, on tombe à la renverse. Henri Guillemin nous dit qu’il est croyant. Mais oui, il croit en Dieu ! Et plus précisément en Jésus, parce que Dieu est trop inaccessible. Et maintenant, nous sommes en bonne compagnie : il appelle à la rescousse Jeanne d’Arc, Blaise Pascal, Teilhard de Chardin, saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, Mauriac et Bernanos et même, Jaurès et Turenne dont il nous cite des textes d’une beauté tout à fait inattendue. Il nous cite surtout Victor Hugo, un Victor Hugo intime et trop méconnu, qu’il nous présente comme son maître à penser.

Vingt pages qui nous récompensent de notre persévérance !
- Mais qu’est-ce qui vous est arrivé, Monsieur Guillemin ?
Eh bien, il nous répond : c’est le fruit d’un demi siècle de réflexion et de méditation.
Oui, vraiment, Henri Guillemin a la foi qui renverse les montagnes. Il nous le dit : il croit aux miracles, il croit à la prière, il croit à la miséricorde de Dieu, il croit en la vie éternelle. Et il nous le dit, un peu comme un aveu. Sa foi est la foi du charbonnier, la vraie foi, faite de confiance et d’espérance. Et il nous l’explique en des mots tout simples : « Le Nazaréen a donné un sens à ma vie, Dieu donne un sens à la création ».

Je connaissais Henri Guillemin par la télévision. J’avais retenu de lui qu’il était un historien brillant, polémique, pourfendeur d’idées reçues, volontiers iconoclaste et parfois de mauvaise foi mais, toujours, passionné et passionnant. Avec « L’affaire Jésus », son œuvre testamentaire, j’ai découvert un historien brillant, polémique, iconoclaste mais, d’une foi profonde, aussi bouleversante qu’inattendue… et c’est une vraie surprise.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 13 mai 2017