Lycaons
de Alex Barbier

critiqué par B1p, le 23 mars 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
les corps et l'incendie
Or donc, mes amis, soyons conceptuels !
La valeur d'une bande dessinée se mesure à l'aide de trois plans parfaitement perpendiculaires l'un par rapport à l'autre : le dessin, le scénario, le contexte.
Sur le plan du dessin, "Lycaons" est une cap, un pic, que dis-je ? Une péninsule. Et qu'une partie des planches originales aient brûlé n'y change absolument rien. Même si la plupart des pages de ce présent album ont été retravaillées à partir des reproductions parues dans "Charlie Hebdo", le tout reste confondant de maturité, de maîtrise. Barbier manie l'encre et/ou l'aquarelle comme personne oserait-on dire, se contentant souvent de deux cases par pages qui donnent à l'album son unité, son ambiance. Part-il en partie de photogaphies ou pas ? Aucune idée. La chose sûre est que sa technique de dépôt des couches de couleurs est remarquable, et les quelques planches originales survivantes donnent une idée de la luminosité qu'aurait eu "Lycaons"si l'incendie n'avait réduit presque tout en cendres.
Si l'on devait jouer au jeu de "S'il avait été écrivain, il aurait été ...", Alex Barbier aurait été William Burroughs. La drogue, le sexe, les monstres mi-homme mi-animaux, la dégénérescence, l'alcool, l'autodestruction, autant de choses qui viennent à l'idée au terme de la lecture. Peu de récit suivi, juste une suite d'expérience où le sang côtoie le foutre et la difformité. C'est clair : A.Barbier a dû autant se nourrir de Burroughs que de substances illicites pour imaginer ces récits sans queue (si je puis dire), ni tête, où la seule fin est la dissolution parfaite des corps. (Reste à voir s'il on est fan de Burroughs ou pas. Moi non, d'où mon enthousiasme très relatif pour ces pâles ébauches de scénario.)
Reste le plan du contexte. Les planches ici présentes datent d'il y a vingt-cinq ans et lorsqu'on feuillette l'album, on a la conviction qu'elle pourrait dater d'hier et soulever encore l'enthousiasme des spécialistes bd. C'est dire si Alex Barbier apparaît comme un génie injustement méconnu pour avoir inventé un style qui fait toujours mouche des décennies plus tard. Et que l'album paraisse sous l'impulsion des têtes chercheuses Fremok (collectif à la pointe de la recherche de nouvelles expressions bd) n'est pas un hasard.
Désillusion en quelques planches 6 étoiles

Pendant un bon moment, Alex Barbier a coloré Charlie Mensuel de ses planches et images pleines de vie et de modernisme. Des histoires qui parlaient de sexe, de politique, d'homosexualité, de polar et de fiction. Quand Dargaud achète Charlie, Barbier s'en va, il est petit à petit oublié. Il faut attendre 1994 et Angoulême pour qu'une exposition le remette sous les feux de l'actualité.

Lycaons est une heureuse réédition des Editions Frémok, dont Wolinski dit : "c'est un livre superbe, plein de foutre et de sang, comme la vie".
Un récit avant-gardiste qui, en 1979, annonçait l'arrivée d'un "virus qui se colle aux gens par acte sexuel".
Un album dur, pessimiste, qui illustre la dérive du monde et de l'humanité à travers des récits tortueux ("Seuls les sujets jeunes les intéressent pour la reproduction, ce sont des charognards"), des planches nageant entre la tristesse et la désillusion, des personnages mi-hommes mi-animaux égorgeant à tout va et urinant sur des voitures avant de les incendier. La morale n'est pas sauve, elle affirme que nous "mourrons tous, là, en tortillant du cul". Pas drôle, un coup de poing dans la figure vingt ans avant l'heure.

Sahkti - Genève - 50 ans - 22 avril 2004