A la porte
de Vincent Delecroix

critiqué par Clarabel, le 23 mars 2004
( - 48 ans)


La note:  étoiles
Ballade surréelle ...
"A la porte" est un voyage entre le rêve et la réalité, introduisant un éminent professeur de philosophie, âgé de quatre-vingt ans, qui se retrouve à la porte de son appartement, un dimanche, à midi. Son jeune disciple a claqué la porte, le vieil homme est également sorti sur le palier, et puis trop tard lorsqu'il s'aperçoit que la porte s'est refermée avec ses clefs sur le guéridon de l'entrée. Bref, notre homme est énervé. Son voisin du dessus possède un double de son trousseau, mais ce dernier est parti, comme à son habitude, déjeuner chez sa mère. Bon... reste le gardien de l'immeuble, un abruti de première, qui passe son dimanche à nettoyer sa voiture et regarder la formule 1 à la télévision. Il tambourine chez lui, plusieurs fois, pourtant il entend les bruits des assiettes qu'on sert et dessert, le son de la télévision, la porte de derrière qui claque.. mais personne ne vient ouvrir. Notre homme est à la rue, un dimanche midi. Sa soeur, une galériste de renom, est son dernier recours. Mais au lieu de lui téléphoner pour qu'elle accourt, il se résoud à sortir, se promener, et va déjeuner dans un restaurant. Savourant un plateau d'huitres, il s'aperçoit que le paysage change, mue, et fait un saut en arrière.. Soudain son père arrive à sa table et lui parle, ou plutôt il écoute les malheurs de son fils sans piper mot, puis il lui annonce qu'il doit partir : il a un train à prendre, sa femme l'attend, il va être en retard.
Le présent revient. Loin de déroûter notre presonnage, l'histoire ne va pas cesser de nous surprendre. Est-ce un rêve ? est-ce la réalité ? et quel est le véritable sens de cette réalité ? A la porte de quoi, se trouve-t-il finalement ?.. En toute fin de roman, on se pose beaucoup de questions.
"A la porte" est un roman étrange qui nous bascule d'avant en arrière, au-delà des parois du réel, entre le songe, le mirage et l'amère certitude d'un présent faussé. Vincent Delecroix a eu la géniale idée de centrer son roman sur son personnage du vieil homme de quatre-vingt ans, ancien professeur de philosophie, et qui écrit désormais des livres de philosophie ("mais des livres que personne ne lit, personne ne comprend"). Personnage bougon, irrascible et rouspéteur, il fustige la société, la culture et l'existence en elle-même.
Intéressant...
Se découvrir sans le vouloir 7 étoiles

La situation de départ est banale, voire ridicule. Un professeur de philosophie à la retraite qui enseigne Phédon à un jeune élève se dispute avec celui-ci qu’il qualifie de petit con, un concours de circonstances place l’enseignant à la porte de chez lui, l’étudiant a claqué la porte en se trouvant du mauvais côté... ô rage ô désespoir, la terreur s’installe rien qu’à l’idée de devoir déambuler au milieu de ce monde moderne qui produit tant de bons à rien. Très rapidement, le cerveau du héros se met en branle, ce claquement de porte lui paraît bien moins innocent qu’il ne l’est en réalité, c’est un signe du destin, Aristote refait surface : "Malheur à celui qui se trouve lui-même à la porte de sa propre pièce : il n’aura plus ni foyer ni loi, comme dit Aristote, il sera comme une bête sauvage, moins qu’un homme, isolée au milieu de toutes ces bêtes apprivoisées qui sont elles-mêmes moins que des hommes, claquemurées dans leur petit réduit décoré de télévision et de penderies."
Le professeur erre de rue en rue, se laisse noyer par le flot de ses souvenirs. Il croit voir son père décédé attablé à une terrasse ou rêve qu’il se promène nu en pleine rue, il commence à se demander qui il est et quel est ce monde étrange qui l’entoure. Au-delà d’une simple mésaventure, c’est toute une réflexion sur soi et sur la vie qui se crée, sur la solitude, l’errance, la mort, le changement et ses contemporains (ce dernier point valant d’ailleurs à Vincent Delecroix l’occasion d’exprimer toute la richesse de son ironie et de son humour).
Une porte qui se ferme, une autre qui s’ouvre, une belle réflexion sur la vie, avec beaucoup de pudeur et de poésie.

Sahkti - Genève - 50 ans - 22 avril 2004