Faux départ
de Alfred Capus

critiqué par Alceste, le 2 août 2016
(Liège - 62 ans)


La note:  étoiles
Plongée dans le Paris fin-de-siècle
La famille Desclos appartient à la demi-bourgeoisie parisienne. Le père, désabusé et truculent, revenu de tout, cache sa faiblesse derrière un scepticisme bourru mais souriant. Il peine à gourmander son fils Edmond qui vient de rater une nouvelle fois son baccalauréat. Tout au plus lui donne-t-il en exemple Georges, le fils aîné, un brillant avocat. Il ne sait pas qu’en réalité, Georges ne trouve pas de client et vit aux crochets d’un ami fortuné, le terne Pierre Rongier, qui, par son fort soutien financier, lui permet de donner le change. Tous deux font partie d’un groupe d’ « hommes de cercle », qui mènent une vie dissolue dans les lieux de plaisir de la capitale. Mais il y a aussi Marguerite, la sœur, douce et effacée, qui soutient Edmond dans son désir secret de devenir comédien. Or un soir, Rongier fait la connaissance de Marguerite qui a accompagné son frère au théâtre. Il tombe immédiatement sous son charme et la demande en mariage, ce qui n’arrange guère Georges, qui craint d’être découvert. Marguerite accepte la demande et se trouve donc au centre du jeu familial, étant désormais à la tête d’une grosse fortune. Assez finement, elle va tirer les ficelles pour à la fois favoriser la carrière d’Edmond, remettre Georges à sa place sans l’humilier, et assurer son propre bonheur conjugal, voire son indépendance de femme, ce qui, pour une bourgeoise de la fin du 19e siècle, ne va pas de soi.

Un beau portrait de femme donc, au milieu d’un univers masculin plutôt falot, loin des clichés de la femme soumise.

Un agréable roman fin-de-siècle aussi, sans parodie ni caricature à la Courteline. Les mœurs de cette époque apparaissent dans leur vérité et étonnent parfois : le parfum de débauche et d’érotisme qui entoure les premières au théâtre, les expositions, ou les sorties au restaurant (les fameux « cabinets particuliers » jouent un rôle éclairant quand Georges reproche à sa sœur, une femme du monde, de s’y afficher sans vergogne), la "saison" à Trouville, où toute la bonne société parisienne se retrouve pour jouer aux courses hippiques, les conversations avec les « horizontales », au nom évocateur… Toute une atmosphère dans laquelle ce roman nous fait entrer de plain-pied.

Alfred Capus n’a pas laissé grande trace dans l’histoire littéraire, et je le regrette, mais j’aime à imaginer que le jeune Proust de vingt ans a eu ce roman, paru en 1891, dans les mains et sous les yeux un passage tel que celui-ci :

« Pierre n’avait même pas, comme les amants dans la période de la possession récente, un perpétuel besoin de caresses ; il ne lui prodiguait pas à chaque moment, dès qu’ils étaient en tête à tête, ces baisers qui émiettent et gaspillent la passion ; car il était à elle par toutes ses pensées, par tous ses gestes, par toutes ses paroles. Il ne l’appelait jamais autrement que « Marguerite », les expressions familières dont les époux se servent dans l’intimité ne montant pas à ses lèvres. Et quand il prononçait ce nom, il en disait les syllabes lentement, en s’écoutant parler. »

Une qualité d’écriture et une finesse psychologique qui ont pu stimuler la plume d'un futur génie.