La Société automatique: 1. L'avenir du travail
de Bernard Stiegler

critiqué par Colen8, le 14 juillet 2016
( - 82 ans)


La note:  étoiles
L’emploi est mort, vive le travail … intermittent !
La révolution numérique change le monde. La Toile qui a tissé ses réseaux dans tout l’espace physique se met à envahir l’esprit après la vie privée. L’impact des applications techniques proliférantes, robots, objets connectés, smart en tous genres, des implications psycho-sociales notamment sur l’emploi, de la perte conjuguée de recettes fiscales et de pouvoir des institutions publiques, tout cela est encore mal évalué. C’est la raison des travaux du groupe de recherches sur les études numériques (digital studies) animé par Bernard Stiegler*. Le double modèle capitaliste industriel fordo-keynésien du siècle passé agonise. Dans le cycle production-consommation, salariat-pouvoir d’achat il aura permis aux classes moyennes d’envisager leur avenir avec confiance jusqu’à la crise des « subprimes » de 2007. En passe d’éclater de façon plus ou moins programmée ce modèle obsolète va faire exploser le salariat, des millions d’emplois devenus inutiles faisant bondir le chômage à 25% avant 10 ans. Les néoconservateurs ultralibéraux auxquels se rallient ceux que l’on désigne comme « les quatre cavaliers de l’apocalypse** » s’en frottent les mains. Maîtrisant la finance et le marketing alimentés à la vitesse de la lumière en continu 24h/24, 7j/7 par les big data, ils ont ainsi les armes pour capter sans la redistribuer toute la richesse de leur propre modèle économique, préférant ignorer qu’ils organisent l’insolvabilité.
Après les menaces sur un monde gâché par nos activités entropiques jusqu’à le rendre toxique voici les propositions tout aussi révolutionnaires de Bernard Stiegler. Elles poursuivent des réflexions techno-philosophiques sur 20 ans de Web qui ont vu parallèlement émerger les logiciels ouverts, la contribution collaborative et constituer ce que l’on nomme dorénavant l’économie contributive. Au lieu de résister à l’abrutissement généralisé prévisible, de se laisser accabler par le profilage sournois des possesseurs de données personnelles, Bernard Stiegler suggère d’utiliser à plein les algorithmes infiniment puissants et rapides gérant les tâches automatisables, de faire en sorte de récupérer un temps devenu libéré pour le rêve. Si sauver l’emploi est un combat déjà perdu, les faits sont là, une innovation sociale majeure est possible. Des règles de droit sont à concevoir et à écrire autorisant la pratique de régimes intermittents tout en protégeant le travail. Le droit tout court, le droit du travail, le droit au travail sont nécessaires à la réussite de la transition, raison pour laquelle Bernard Stiegler a présenté ses travaux au Conseil Constitutionnel. Ceci n’est encore qu’une voix extrême parmi celles qui vont nourrir des débats à venir. En laissant advenir une source alternative de néguentropie on serait capable d’amorcer la désintoxication nécessaire, de créer une richesse incommensurable grâce aux valeurs partagées du savoir, de la pensée, de la création.
Sur le fond le présent ouvrage délivre une série de messages et de réflexions inédites parfois d’une extrême abstraction. La forme par contre y est exprimée dans un jargon particulièrement indigeste si l’on n’est pas déjà familier de l’œuvre de l’auteur. Les propositions ébauchées ici doivent être développées dans un second volet de cette série dévolue à la société numérique à paraître sous peu : L’avenir du savoir.
*Le titre de cette critique n’est autre que celui d’un récent ouvrage de Bernard Stiegler. Un détour par son site associatif « Ars Industrialis » s’impose, ne serait-ce que pour y consulter les définitions de son vocabulaire un rien ésotérique : http://arsindustrialis.org/vocabulaire.
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