Sexus nullus ou l'égalité
de Thierry Hoquet

critiqué par Veneziano, le 12 juillet 2016
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Mention légale du sexe et égalité
Par le biais d'une fiction politique faisant élire une forme d'idéaliste à la présidence de la République française, ce philosophe tend montrer que la suppression de la mention du sexe à l'état civil contribuerait à l'égalité entre femmes et hommes. Il ne serait pas un critère déterminant d'affirmation sociale. Les jouets et injures sexistes, le plafond de verre, l'emploi d'une seule civilité par sexe (par la suppression de la mention mademoiselle) seraient progressivement sortis de l'esprit par la lutte contre des freins anthropologiques à l'égalité.
L'idée est intéressante, mais présentée de manière simpliste, les liens de cause à effet paraissant très indirects. Par ailleurs, il caricature le système politique français, avec une gauche incapable d'avancer une idée et une droite fatalement rétrograde, une extrême-droite homophobe qui ne viendrait ou presque que de Versailles. Les angles sont certes volontairement grossis, mais caricaturer ainsi des données sociologiques, par nature nuancées, ne contribue pas à plaider pour sa cause. On en reste souvent incrédule.

Ce livre pose tout de même de vraies questions et pose les bases de ce qui reste, à tort certes, une utopie. Les vrais débats de combat sont cités, mais occultés par un seul aspect des choses, dont je pense qu'il reste secondaire. La marque d'une religion sur une pièce d'identité ne ferait pas en soi appel à une discrimination. Le thème général est intéressant, mais le mode de traitement assez vain, voire un tantinet futile, à mon sens.
un manifeste pour l'égalité ? 10 étoiles

C’est un roman politique, mais à la manière d’un conte philosophique à la Diderot ou à la Voltaire. L’auteur nous convie à nous interroger sur la question du genre (masculin/féminin) à propos d’une élection présidentielle en France, tout à fait transparente, puisqu’il se serait agi de celle de 2018 si le héros, notre Candide candidat imaginaire, prénommé Ulysse Riveneuve (en référence à "l’Odyssée" ?) s’y était présenté. Son programme unique : faire disparaître la notion du genre, donc du sexe, dans notre état-civil et sur les cartes d’identité, le genre ne sera plus considéré, au même titre que la religion ou les origines, que comme une donnée privée. Riveneuve va démontrer au fil de sa campagne électorale le bien-fondé de son idée toute simple et peu à peu gagner les médias, les médecins et biologistes (car effacer le sexe de l’acte de naissance n’altère en rien la différenciation sexuelle réelle), les juristes, les athées aussi bien que les représentants des différentes religions, les féministes et fin de compte presque tout le monde, en dehors des fieffés réactionnaires et intégristes de tout poil, il est vrai, fort nombreux. Et ça pourrait changer toute la société. Allant jusqu’au bout de l’idée (et l’on sent pointer ici l'auteur, philosophe spécialiste des Lumières), le candidat nous convie à imaginer une nouvelle société et à nous interroger sur la notion de genre, son sens et son utilité dans nos sociétés, sur l’éducation des garçons et des filles ("Le monde des enfants est le premier cercle du royaume des normes"). L’auteur se montre particulièrement critique, voire ironique, sur la classe politique dans son ensemble, sur la nullité des médias, quand ils sont pris de court par une idée nouvelle, et surtout par un quidam non issu du sérail politique. Il donne les arguments pour et contre (ceux-ci provenant principalement du Parti Pour Tous, inénarrable assemblage unifié du FN et de la droite conservatrice), et en fin de compte parvient à convaincre et à être élu.

Un livre qui fait réfléchir sur les transformations de la société (mariage pour tous, PMA, GPA, mixité) et à l’heure des "metoo", "mais délivre-nous du Mâle !" et autres "balance ton porc", il nous invite à réfléchir sur les difficiles conquêtes de l’égalité, toujours potentiellement suspendues (acceptation et non pas simple tolérance des diverses formes de sexualité, acceptation et non pas simple tolérance de l’interruption de grossesse, parité insuffisante dans les professions et la politique) sur la situation des femmes, toujours citoyennes de seconde zone, sur la frilosité des diverses gauches, toujours un peu (et même beaucoup) machistes.

Ça pourrait être ennuyeux : c’est palpitant, et ça nous change des nombreux ouvrages se disant politiques sur les campagnes présidentielles, qui nous plongent dans l’inintérêt le plus absolu. Ici, les discours, les manifestes (le "Manifeste Unisexe"), les débats sur les plateaux télévisés, tout concourt à maintenir l’intérêt. Et si on sortait des stéréotypes de genre, si on permettait à chacun de devenir ce qu'il veut, si "Sexe ne rimait plus avec Pouvoir" ? Le mot "épicène" est longuement développé : Amélie Nothomb aurait-elle lu ce livre, ce qui lui aurait donné l'idée de son nouveau roman ???

Il s’agit d’un livre dont je ne connaissais pas l’auteur, et dont je n’avais jamais entendu parler, bien que paru depuis 2015. Depuis, il semble que Thomas Hoquet ait écrit une sorte de suite, intitulée "Déicide, ou la liberté" (même éditeur féministe), attendant sans doute de terminer sa trilogie sur "..., ou la fraternité" ?.

Cyclo - Bordeaux - 78 ans - 14 septembre 2018