La France en terre d'islam
de Pierre Vermeren

critiqué par Colen8, le 25 juin 2016
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Un éclairage bienvenu
Sans doute avons-nous besoin d’en savoir plus sur l’histoire extérieure des derniers siècles notamment pour la France depuis la campagne d’Egypte de 1798. Il serait facile de s’en tenir à des raccourcis sans prendre le temps de connaître les tenants et aboutissants d’un débat d’actualité, prenant des tours enflammés si l’on s’y jette dans l’ignorance, sans le rappel des faits détaillés ni le recul appuyé par une imposante bibliographie que nous propose un historien patenté. L’islam était perçu dans une sorte de brouillard orientaliste qu’aucun européen ne cherchait à comprendre jusqu’à une date récente où ont été publiés des travaux d’islamologie. Dans une rétrospective tumultueuse et foisonnante, Pierre Vermeren détaille les structures tribales fortement endogamiques des peuples musulmans généralement nomades, les confréries et marabouts répandus dans les couches populaires, la naissance du salafisme entretenant le communautarisme identitaire érigé par la suite en ferment révolutionnaire contre les colonisations.
Pendant des siècles l’empire ottoman a succédé à l’empire arabe sur le pourtour sud de la Méditerranée et à l’empire byzantin après la prise de Constantinople. Bien que dominé par les musulmans il est resté peuplé majoritairement de non-musulmans jusqu’à son démantèlement en 1920 signant la fin du califat. L’ingérence des puissances européennes s’y était effectuée subrepticement sous couvert des capitulations (ou traités) dans le souci de protéger les minorités religieuses : chrétiens d’Europe et d’Orient, arméniens, orthodoxes, yazidis, coptes ou juifs. Plus tard Grèce, Serbie, Bulgarie, Roumanie, une partie des Balkans, de la Hongrie et de l’Ukraine s’en étaient affranchis au prix de guerres sanglantes. Parallèlement les britanniques puis les français mandatés par la SDN, tantôt alliés tantôt opposés ont étendu leur domination militaire ou administrative ou culturelle sur tout le Levant, terme désignant le Proche et le Moyen-Orient. Ce sont eux qui ont dessiné les frontières des pays que nous avons connu depuis.
La France s’est néanmoins concentrée sur l’Afrique du Nord, en Algérie d’abord par la colonisation au XIXe siècle, au Maroc et en Tunisie plus tard sous la forme de protectorats. C’est en 1830 qu’a eu lieu la prise d’Alger pour mettre fin à une piraterie barbaresque endémique. Conquête et colonisation n’ont été décidées que plus tard après les décennies de lutte de l’émir Abdelkader tentant en vain de rallier l’ensemble des tribus locales. Ayant renoncé à refouler les « indigènes » vers le sud désertique les communautés de colons européens et celles des musulmans se sont côtoyées, ignorées, méprisées ou haïes, à l’exception des religieux et missionnaires dûment mandatés par la République laïque. Le modèle républicain d’assimilation prôné un temps par les francs-maçons et les saint-simoniens y avait été jugé in-exportable.
En raison de la diversité des lieux, des époques, des acteurs, des mouvements, des influences qu’il analyse en profondeur, l’ouvrage aurait eu une plus grande portée s’il avait été doté d’un index chronologique, d’un index des noms propres, d’un glossaire des termes en italique (turcs, arabes, juifs, issus du Coran…), de tableaux synoptiques et de repères géographiques.