Porte de Champerret
de Évelyne Bloch-Dano

critiqué par Isis, le 16 juin 2016
(Chaville - 79 ans)


La note:  étoiles
Le compte à rebours
Renouant pour la seconde fois (voir sur ce site «La biographe») avec le genre autobiographique, Evelyne Bloch Dano a entrepris ici de se pencher, non plus sur la vie des autres, comme elle a su si bien le faire, avec Madame Zola, Madame Proust, ou George Sand, mais sur la sienne propre, à travers celle de sa mère, refusant désormais toute esquive dans cette nouvelle démarche personnelle.

En effet, écrit-elle, «la biographie est une ruse de l’inconscient pour éviter sa propre histoire et une façon de l’écrire à l’encre sympathique».
Or, au moment où sa mère Edith, atteinte de la maladie d’Alzheimer, a été admise en maison de retraite, l’auteur a dû vider l’appartement de la rue Jean Moréas près de la porte de Champerret où elle vécut une grande partie de sa jeunesse.

Ce douloureux travail de deuil fait ressurgir chez E.B-D une multitude de souvenirs d’hier, livrés en vrac dans ce petit ouvrage très court, mais si riche en émotions, au rythme du vagabondage de ses pensées d’aujourd’hui.

Coucher enfin sur le papier ces mots qui n’ont jamais été dits ouvertement par une mère très secrète et désormais amnésique, lui est ainsi apparu comme une démarche d’autant plus indispensable que l’oubli, pathologique ou non, sous le simple effet du temps qui passe, est inéluctable.

«Ce livre épouse un compte à rebours auquel je résiste en vain» déclare-t-elle dans les tout derniers chapitres, cette écriture salvatrice lui permettant de graver dans le marbre un passé douloureux tout en se déchargeant du poids qu’il représente.

Ainsi comment oublier la disparition tragique de quatorze membres de la famille paternelle d’Edith dans les camps d’extermination et, notamment, celle de Lotte sa cousine germaine que la vieille dame, restée quasiment muette sur ces événements, toute sa vie durant, confond aujourd’hui avec sa fille qu’elle ne reconnaît plus, comme telle.

A ces événements dramatiques inscrits également dans la mémoire collective de la grande Histoire, vient s’ajouter un portrait de la France des années 50 dans lequel les plus âgés d’entre nous se reconnaîtront avec bonheur.

Au total, un livre extrêmement touchant et sincère où alternent, au fil des pages, légèreté, avec la jeunesse d’Evelyne et gravité avec la vieillesse d’Edith : cette étape ultime où, à un certain stade de la sénilité que certains, heureusement, ne connaîtront jamais, se produit l’inévitable inversion des rôles nourriciers entre parents et enfants.

Plus qu'un agréable moment de lecture, la sensation d'un véritable secret partagé.