Étude de l'objet
de Zbigniew Herbert

critiqué par Septularisen, le 4 juin 2016
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
Et que reste-t-il de mon ciel? Du bleu meurtri.
Si Zbigniew HERBERT (1924-1998) est pratiquement inconnu en France (il y a pourtant passé une partie de sa vie), dans son pays natal, la Pologne, il demeure par contre le poète de la liberté et de la vérité. Un véritable héros national, vénéré par tous, un chantre de la lutte contre la dictature et l’oppression (un peu comme Jaroslav SEIFERT (1901-1986) en République Tchèque).
«Étude de l’objet » (1961) est son troisième recueil. Il est composé de poèmes très divers entre eux. La deuxième partie du livre p. ex. présente des poémes en prose, inspirés par les grandes figures mythologiques et littéraires, traversés d’un humour inquiet qui rappelle parfois ceux d’Henri MICHAUX (1899-1984).


Pages de mythologie

Au début il y eut le dieu de la nuit et de l'orage, idole noire et sans yeux, devant laquelle ils bondissaient nus et barbouillés de sang. Puis au temps de la république, il y eut de nombreux dieux avec femmes et enfants, des lits dont les ressorts grinçaient et la foudre qui explosait sans faire de dégât. À la fin seuls des neurasthéniques superstitieux portaient dans leur poche une petite statuette de sel, représentant le dieu de l'ironie. À l'époque il n'y avait pas de dieu qui lui fût supérieur.

C'est alors que les barbares sont arrivés. Eux aussi appréciaient beaucoup le petit dieu de l'ironie. Ils l'écrasaient sous leur talon et en saupoudraient les plats.


Néanmoins, c’est surtout à Francis PONGE (1899-1988) et à son « Le Parti pris des choses » (1942) que l’on pense quand on lit des poèmes comme : Le tamarin : "alors qu'il est étendu // transpercé par une lance // que les lèvres de sa blessure // se referment // il ne voit // ni la mer // ni la ville // ni l'ami // il voit // près de son visage // le tamarin" ; L’hippocampe : "l'air honnête // d'un caissier qui boit du thé // ne va pas à sa nature de meurtrier // des eaux douces et stagnantes" ; ou bien encore Le caillou : "les cailloux ne se laissent pas apprivoiser // ils nous regarderont jusqu’à la fin // d’un œil calme très clair".

C’est une écriture simple, claire, évidente, frémissante, mais qui reste accessible à tous. Parfois un peu ironique, faisant parfois preuve d’une étonnante distanciation énigmatique et froide.
Pourtant Zbigniew HERBERT ne prêche aucun idéal, aucune utopie, aucune politique, il essaie juste d’éveiller avec des mots précis, forts, coupants, tranchants qui appuyaient là où cela fait mal dans la conscience des lecteurs : "elle ne voulait pas // de raisin // elle ne voulait pas // de morphine // elle ne voulait pas // aider les pauvres // elle voulait une Messe // eh bien elle l’a".

Une voix claire, sobre, authentique, des mots sculptés, puissants, tranchants, comme des couteaux… Ecoutons-les…

Notre peur

notre peur
n’est pas en chemise de nuit
n’a pas des yeux de chouette
ne soulève pas de couvercle
ne souffle pas de chandelle

n’a pas le visage d’un mort non plus

notre peur
c’est un bout de papier
dans une poche
« prévenir Wójcik
local grillé rue Dluga »

notre peur
ne chevauche pas la tempête
ne se pose pas sur la tour de l’église
elle est triviale

elle a la forme d’un baluchon noué à la hâte
des habits chauds
des vivres
une arme

notre peur
n’a pas le visage d’un mort
les morts sont doux avec nous
nous les portons sur le dos
dormons sous la même couverture
leur fermons les yeux
redressons la bouche
choisissons un endroit au sec
et les enterrons

pas trop profond
pas trop près

Zbigniew HERBERT a reçu le Prix de l'État autrichien pour la littérature européenne en 1965, le Prix Herder à Vienne en 1973, le prix Pétrarque à Vérone en 1979, le prix Wüstenrot en 1980 et le prix littéraire de Jérusalem en 1991. Son nom a été cité à de nombreuses reprises pour le Prix Nobel de Littérature.