Rotterdam, un séjour à fleur d'eau
de Emmanuel Lemaire

critiqué par Blue Boy, le 21 mai 2016
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Poldergeist
Quand on pense à Rotterdam, on a l’image d’une ville portuaire et industrielle pas forcément des plus attractives. Emmanuel Lemaire, qui y a séjourné près d’un an afin de se rapprocher de son amie, s’est mis en tête de lui tirer le portrait, un portrait surprenant et multifacette d’un environnement en mutation perpétuelle, un monde en construction entre tradition et modernité.

« Rotterdam, un séjour à fleur d’eau » n’est l’œuvre ni d’un touriste ni d’un natif mais d’un résident temporaire venu de France pour rejoindre sa « chérie » embauchée pour une mission de huit mois dans un projet d’extension de raffinerie. Emmanuel Lemaire nous propose ainsi une description de son quotidien dans un quartier neuf de Rotterdam, un quotidien rythmé par la rumeur des chantiers alentours et le tumulte provenant de la cour de récréation de l’école voisine. Chaque jour, il enfourche son vélo hollandais, se faisant observateur des us et coutumes parfois déconcertants des habitants, matière d’un récit entrecoupé d’anecdotes (le Jour de la Reine, les frites avec double couche de mayonnaise, les ailes de poulet, le carnaval caribéen…).

L’auteur parvient à insuffler une certaine poésie en dépit de l’environnement ultra-moderne et froid, comparant ainsi la « skyline » rotterdamoise à un graphique, qui rappelle qu’on est « chez les marchands », allusion au sens des affaires proverbial des protestants. Mais l’austérité et la géométrie de la cité sont aussi heureusement tempérées par l’omniprésence des eaux et des vélos, deux éléments fondamentaux des Pays-Bas qui impriment indéniablement une certaine douceur au style de vie de ce pays.

Dans son style à la fois fouillé et proche du croquis, Emmanuel Lemaire insère ses petits clichés dans une mise en page assez libre qui peut évoquer Will Eisner. De même, l’auteur, tel qu’il se représente, un peu distrait et maladroit, rappelle un peu le Grand Duduche de Cabu, comme s’il n’était pas totalement à sa place dans cet univers si peu familier malgré sa curiosité de reporter.

Cette petite flânerie « à fleur d’eau » est une découverte plaisante qui se déguste comme une barquette de frites mayo (la Belgique n’est pas loin) à bord d’un bateau en papier, tels ceux que la petite amie de l’auteur fabrique avant d’y déposer un griffonnage pour symboliser un moment marquant. Si la poésie sert à transcender le quotidien, le banal et la grisaille, alors Emmanuel Lemaire est vraiment un poète, réussissant à nous transmettre sa fascination pour la cité batave, capable de s’émerveiller du vaste horizon hérissé de buildings et de grues comme des petits riens.