La légèreté
de Catherine Meurisse

critiqué par Lucia-lilas, le 21 mai 2016
( - 57 ans)


La note:  étoiles
La légèreté de Catherine Meurisse
Comment se relever et marcher quand on a été anéanti, écrasé par la douleur ?
Comment refaire surface lorsque tout ce que l’on entend et tout ce que l’on voit nous rappelle l’innommable, l’impensable ?
Catherine Meurisse, dessinatrice de presse à Charlie Hebdo, ce 7 janvier 2015 au matin, pense dans son lit, chagrin d’amour oblige… Je t’aime mais je ne peux pas vivre avec toi… ni sans toi… Que faire ?… Pas de solution, alors, se lever et aller bosser. Courir après le bus qu’on vient de rater. Penser que le soir même, on fêtera l’anniversaire de Luz. Ça met un peu de baume au cœur. Evidemment, Catherine arrive en retard au journal…
Juste le temps de se cacher dans les bureaux voisins. L’horreur a déjà commencé…
Puis, un blanc, l’impossibilité de se servir du langage, de se souvenir. Effroi de la mémoire qui fuit, sidération de l’imaginaire anéanti. Impression de ne pas être, de ne plus être. Il faut pourtant reprendre, trouver des idées, dessiner. Mais le cerveau est saturé et vide à la fois.
Le bouclage du numéro dit « des survivants » a lieu tout de même malgré l’état de choc. Puis plus rien. Catherine perd la mémoire.
Il faut trouver des solutions. Un séjour à Cabourg pour cette passionnée de Proust, son « auxiliaire de vie » devrait permettre d’y voir plus clair, de retrouver sensations et émotions. Rien ne vient. Par contre les cauchemars emplissent les nuits. Peut-être faut-il marcher sur les chemins de campagne autour de la maison familiale. Retrouver la paix au contact de la nature afin de rassembler les morceaux de soi-même et savoir qui l’on est.
« Vous êtes dissociée », diagnostiquera le psy, « votre cerveau a disjoncté et provoqué une anesthésie émotionnelle, sensorielle et mémorielle ».
Retenter quelque chose : quitter Paris pour une île, se couper du monde (est-ce possible à notre époque ?), marcher longtemps, contempler la nature, aller au théâtre… Il faut trouver une solution, relever la tête…
Stendhal en 1817 est à Florence. Il vient de visiter l’Eglise Santa Croce. Soudain, il est pris de vertiges, les battements de son cœur s’accélèrent : la beauté de l’art en est la cause… C’est ce que l’on a appelé « le syndrome de Stendhal ». Catherine veut « être submergée par la beauté ». Il faut essayer, tenter un choc esthétique, se sauver…
Elle part alors à Rome, Villa Médicis…
C’est avec humour et gravité que la dessinatrice raconte son effondrement et sa renaissance, sa lutte de tous les instants pour ne pas sombrer. On retrouve dans cette magnifique BD, au graphisme original, l’esprit « Charlie », preuve que Catherine a retrouvé un chemin et une certaine légèreté pour aller de l’avant plus sereinement.
Confier à la peinture, à la littérature, à la musique la difficile mission de rendre supportable la laideur du monde : il faut y croire, l’art est là pour permettre à ceux qui souffrent de retrouver leur mémoire, leur imagination et leurs mots pour vivre.
C’est ce que disent les paroles de Nietzsche citées en exergue : « Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité »
La Beauté, l’Art comme bouée de sauvetage maintenant les hommes à la surface afin qu’ils flottent avec légèreté et refusent de se laisser couler…
Magnifique…