Sous un poirier sauvage
de Ko Un

critiqué par Septularisen, le 9 mai 2016
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
Et dans la mer obscure les derniers rayons de la lune se noient
Les feuilles qui tombent
dansent en tombant

je quitterai ce monde ainsi
en dansant

« Sous un poirier sauvage » est une sélection de poèmes de l’écrivain Sud-Coréen Ko UN (*1933) tirés de 5 de ses recueils : «Le sentiment de l’au-delà» (1960) ; «Au bord de la mer» (1966) ; « Dieu. Langue. Dernier village » (1967) ; «Au village de Mooni » (1974) et « Des poèmes, des regrets » (2002).

Malgré qu’il soit difficile de dire que cette sélection de poèmes soit représentative de l’œuvre du poète de Corée du Sud, (celui-ci a en effet écrit plus de 130 livres…), l’immense talent du poète apparaît toutefois ici de façon éclatante.

La grue s’envole
La branche du pin oscille

quelqu’un dit
que le pin a failli s’envoler

Influencé par la poésie chinoise et japonaise (notamment les Haïkus), la poésie de Ko UN l’est certainement plus par le bouddhisme zen (rappelons qu’il fût moine bouddhiste pendant 10 ans). Ses poèmes, souvent en « deux faces » qui se répondent l’une l’autre, ne ressemblent donc en rien à ceux que l’on a l’habitude de lire et surtout pas à ce qu’en tant que « lecteurs occidentaux » on a l’habitude de lire comme poésie dite « orientale ».

Si vous ne me comprenez pas
je suis étranger

si je ne comprends pas votre silence
vous n’êtes que muet

mille lieues nous séparent

Une poésie narrative donc, mais, dans la grande tradition du Haïku, la nature garde, bien sûr, une part prépondérante :

Pieds nus sur la terre au printemps
Sur ma tête une fleur s’ouvre

La poésie de Ko UN se compose souvent de petites phrases lapidaires, comme des fulgurances d’éclairs, des coups de griffe qui touchent le lecteur au plus profond de lui-même et le forcent à réagir, à se positionner selon sa propre vie, sa propre expérience…

Auschwitz, Pologne

là, tas de lunettes
là, tas de souliers

là, tas de coins tranquilles

Disons pour conclure, que c’est une poésie qui, si elle n’est pas difficile à lire, en reste une poésie à découvrir, ne fut-ce que pour les réflexions qu’elle provoque à l’intérieur de nous… Assurément en tous les cas une poésie comme je n’en ai jamais lue !...

Laissons maintenant parler le poète. Vous connaissez tous certainement les « Quatre saisons » d’Antonio VIVALDI (1678-1741), en musique, et bien je vous propose de découvrir tirées du recueil «Au bord de la mer» (1966) les « Quatre saisons » de Ko UN en poésie :

Quatre saisons

Printemps

Débout près de ta petite tombe, j’ai vu
vacillant sous les brunes nouvelles
ce lieu étrange où dormiront mes os

comme le village est triste ! mais déjà le ruisseau coule
qui a passé l’hiver sous la terre
et au bord de l’eau les saules se revivifient

le printemps qui revient pour le feuillage
laisse l’angoisse des jours pluvieux
en lui ta tombe se renouvelle

j’hésite un moment, puis je m’en vais

Été

Je n’irai pas à l’île Sunyu
où ta mémoire vit toujours

les conques monotones que tes pieds foulaient
si je les posais sur mes oreilles
que de souvenirs en sortiraient !

on veut me persuader d’aller là-bas, mais je n’irais pas

l’été est l’été de toujours, la mer se fonce un peu
c’est le premier amour, et la tristesse

je t’oublierai, toi, ange à la robe démodée
je n’irais pas là-bas

Automne

À chaque gare de province je descendais du train
les fleurs de cosmos, dans ma toux, s’épanouissaient
et tes chers regards me suivaient, du haut des cieux.

dans la nuit profonde les étoiles se multiplient
ta mort c’est maintenant ma table vide

je dois noter quelque chose
pour le vieil homme que j’ai croisé dans le sud


une feuille ne tombe pas d’elle-même, mais à cause du vent
dans l’herbe meurent des êtres insignifiants

voix avec des veinures, cette feuille périt

Hiver

Puis-je avoir des nouvelles de l’hiver, où dorment tes os ?
je veux retourner sur ta tombe
et là t’écrire avec le crayon usé de mes errances

mes larmes se tariront

les flocons de neige fondaient sur tes lèvres
qui durent dans mes souvenirs
on ne savait rien d’autre que ceci : tout était Dieu

que l’hiver ne parte pas ! je vais m’en aller

dans mon enfance le froid se cachait
devenait l’âme sous la neige

dormant au sein de ta mort, je m’en irai

Rappelons qu’entre autres, Ko UN a été le Lauréat de la « Couronne d’Or » des soirées poétiques de la ville de Struga (Macédoine) en 2014, (considéré comme le plus prestigieux des prix de poésie) et que son nom revient régulièrement, ces dernières années, pour le Prix Nobel de Littérature.