Call boy
de Ira Ishida

critiqué par Débézed, le 4 mai 2016
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Le sexe n'est pas que de l'amour
« J’entends souvent résonner des bruits de pas dans mes rêves ». Un livre qui commence par une telle phrase ne pouvait que m’aspirer et je fus bien inspiré de le lire. Ces bruits de pas sont ceux de la mère de Ryô que celui-ci entend toujours bien qu’elle soit disparue quand il n’avait que dix ans. Ce bruit était associé à la douce main de la mère qui effleurait le visage de l’enfant en lui procurant des sensations liées aux prémices de ses premiers émois. Devenu jeune homme, Ryô entend toujours ces pas dans ses rêves même si sa sexualité est plutôt banale jusqu’à ce qu’il rencontre la femme qui va changer sa vie. Madame Midoh sent rapidement en ce jeune homme une sensibilité et une sensualité qui pourraient combler la libido de bien des femmes qui s’adressent à elle pour assouvir leurs désirs. Ryô devient ainsi un call-boy, un jeune homme qui se prostitue pour satisfaire les désirs de femmes souvent beaucoup plus âgées que lui.

Peu porté sur le sexe, il est surpris par la proposition de sa protectrice mais accepte tout de même de tenter l’expérience pour gagner l’argent qui lui est nécessaire pour payer les études qu’il ne suit pas assidûment faute de temps. Mais l’argent passe vite au second plan, derrière les découvertes qu’il fait au contact de ses « clientes » chez lesquelles ils trouvent des motivations très diverses. Il comprend vite que la sexualité n’est pas liée qu’aux relations sexuelles, qu’elle peut être aussi cérébrale, liée à une simple évocation du passé, à un souvenir sensuel ou à une première expérience particulièrement marquante. Il devient vite un amant très recherché, un jeune homme qui sait satisfaire les désirs qu’il décèle facilement chez les femmes même les plus âgées.
Ce livre qui raconte les rencontres les plus excentriques du jeune homme, n’est pas un catalogue des pratiques sexuelles jugées souvent déviantes, c’est plutôt une ode à la sensualité amoureuse et à la liberté sexuelle, il n’y a pas sexualités déviantes, il n’y a que des façons différentes de satisfaire ses envies et de trouver son plaisir. Il s’élève contre ceux qui jugent les pratiques des autres sans en connaître les raisons profondes : « Il y a plein de gens dans ce monde qui souffrent de problèmes qui ne les concernent pas, qui jugent autrui sans réfléchir, à partir de valeurs qui ne sont pas les leurs. J’en ai vu tellement…. »

Ishida parle avec une grande liberté de sexualité mais aussi avec une grande pudeur, sans aucune pudibonderie, cette fameuse pudibonderie religieuse qui, selon certains psychanalystes, aurait tellement gâché la sexualité et la vie de nombreuses personnes. Il s’efforce de faire comprendre à ses amis que son emploi a un sens : « Tu devrais savoir que faire l’amour est toujours une transaction. Quelqu’un achète. Quelqu’un vend. Et en même temps, l’âme joue un grand rôle aussi. Il est difficile de distinguer les deux ». Ishida et son héros auraient, ainsi, dépassé les motifs des conflits qui ont récemment agité la société française. « J’avais dépassé à ce moment-là les différences sexuées entre hommes et femmes. Je ne savais plus de quel sexe était Azuma. Je le voyais comme un être aussi charmant que déroutant… ». Pour eux le sexe n’est plus motif de différence, il n’est que le vecteur de la sexualité et le moyen de satisfaire son être.

Toutes les références culturelles de ce livre sont occidentales, l’auteur semble avoir une très large culture européenne et américaine mais il n’en demeure pas moins que son texte évoque profondément les mœurs et les lettres japonaises. On retrouve dans ce roman cette liberté d’évocation de la chose sexuelle avec pudeur mais sans pudibonderie qui rappelle Kafu, Kawabata, …, mais aussi des lectures plus récentes que j’ai eu le plaisir de faire, des textes de Ryû Murakami, Rieko Matsuura, Banana Yoshimoto, … Et il semble que lui aussi ait beaucoup lu, « Après la mort de ma mère, je me suis retrouvé tout seul. Je n’avais personne avec qui parler. Et comme je passais mon temps à lire, peut-être que finalement, je parle comme un livre », comme un très bon livre.