La concession française
de Xiao Bai

critiqué par Débézed, le 28 avril 2016
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Shanghai embrouilles
Shanghai porte de l’Occident entrouverte sur l’immense Empire du milieu, Shanghai lieu de confrontation entre les cultures orientales et occidentales, Shanghai lieu de rencontre de toutes les puissances officielles et occultes, Shanghai objet de fascination pour de nombreux écrivains : Malraux, « La condition humaine », Xiao Li « Shanghai Triad », Weihui, « Shanghai baby »… et ainsi après beaucoup d’autres, c’est Xiao Bai qui met en scène cette ville si cosmopolite avec ses « concessions » et son « settlement », ses sociétés secrètes, ses espions, ses forces révolutionnaires, ses aventuriers spéculateurs, ses polices locales ou étrangères. Et, comme tous ceux qui l'ont précédé, Xiao Bai propose une histoire à la croisée du polar, du roman d’espionnage, du roman historique et encore d’autres genres littéraires.

Mai 1931, dans la concession française, un officier de l’armée du Kuomintang est abattu à sa descente d’un bateau par un membre de la Société des Forces Unies qui représente, dans cette ville, les communistes subversifs qui veulent déstabiliser les concessions pour affaiblir la Chine et y exporter leur révolution. Ce meurtre agite toutes les multiples forces qui règnent sur les concessions ou qui voudraient s’y implanter : les Français et les Anglais qui y sont déjà bien installés, les Allemands qui cherchent un point d’ancrage en Orient, la Bande Noire, une société secrète qui aide les Français à faire régner l’ordre dans leur concession, d’autres organisations occultes, les agents communistes infiltrés, les représentants du pouvoir officiel, celui de Nankin à cette époque, et toute une série de trafiquants et d’aventuriers qui profitent des divers conflits plus ou moins latents opposant les Chinois entre eux ou aux Japonais pour trafiquer toute sorte de marchandises, surtout des armes.

Dans un tel contexte tout le monde espionne tout le monde, les informations secrètes circulent un peu partout colportées par des informateurs à la botte du plus offrant, mangeant parfois à plusieurs râteliers. Un grand remue ménage agite la concession française et le settlement anglais, les diverses polices, les diverses sociétés secrètes et les partis politiques s’opposent au gré des intérêts qu’ils représentent mais aussi au gré des liens personnels qui unissent certains des protagonistes. Un terrain de jeux idéal pour un auteur de roman policier qui peut y construire les intrigues les plus folles et les plus complexes, si tordues qu’il n’est pas possible de les résumer en quelques lignes. Mais Xiao ne s’est pas laissé griser par toutes les possibilités qui s’offraient à lui, il s’est extrêmement bien documenté, il connait parfaitement l’histoire de cette époque, le fonctionnement, les coulisses, des concessions et toutes les carambouilles qui se nouent autour. On croirait qu’il a vécu à Shanghai dans les années trente, échappé du célèbre roman de Malraux « La condition humaine ».

Ce roman est bâti autour de quelques événements avérés, il est nourri d’informations réelles issues d’une véritable documentation écrite : archives diverses, coupures de journaux, … mais il doit beaucoup à l’imagination de l’auteur qui a su dans un roman fleuve reconstituer ce qui était probablement la vie à Shanghai après l’échec du soulèvement de 1927 et avant l’invasion japonaise de 1937. Un monde grouillant, agité, effervescent, toutes les forces en présence défendent leurs intérêts ou en cherchent de nouveaux dans cette ville en pleine croissance. Un portrait réaliste de la ville à cette époque d’expansion, de croissance et d’agitation, d’ouverture de plus en plus large au monde occidental, de nouveaux conflits se profilant à l’horizon. Un récit lent, comme un roman chinois, qui campe le décor avec précision, dessine des personnages au profil très affiné, où l’intrigue sert surtout à faire revivre la ville comme elle était au début des années trente, à l’inverse des polars habituels où la ville sert plutôt de cadre à l’intrigue. J’ai eu, en effet, cette impression que le héros principal de ce polar était Shanghai et non l’intrigue qui est très complexe, très tortueuse et qui semble plutôt écrite pour faire revivre la ville. Cette intrigue n’a pas réellement de début, ni de fin, c’est un moment, certes très animé, de la vie de la cité, un moment décrit avec un grand soin par l’auteur qui met un point d’honneur à créer, ou recréer, des personnages qui ont un réel rôle historique ou social pour que son tableau ait une véritable crédibilité historique.