Pour la gloire
de James Salter

critiqué par Romur, le 18 avril 2016
(Viroflay - 50 ans)


La note:  étoiles
Cette passion contagieuse
Méconnue chez nous, la guerre de Corée a duré trois ans, opposant les forces de l’ONU, essentiellement américaines, aux troupes nord coréennes soutenues par la Chine communiste. La domination aérienne jouait un rôle clé et ce conflit vit les premiers combats entre avions à réaction, notamment F-86 contre MIG-15.

Cleve Connell rejoint les opérations en tant que commandant d’une escadrille de chasse. Solitaire, posé, Cleve cherche quelque chose de plus subtil que la gloire contrairement à ce que suggère maladroitement le titre français.
Malgré l’enthousiasme de ses coéquipiers, le sort semble s’acharner sur lui, jamais en mission lorsque les combats se déclenchent, pas au bon endroit, pas au bon moment.
Or les MIGs abattus comptent pour beaucoup dans le prestige individuel et finalement dans l’estime de soi. Malgré son héroïsme modeste, la frustration et le découragement s’installent progressivement et rongent Cleve tandis que se développent la jalousie et même la haine vis-à-vis d’un de ses sous-lieutenants vantard et ambitieux, prêt à mentir et mettre en danger la vie de ses coéquipiers pour pouvoir revendiquer des victoires et devenir un « As ».

« Les chasseurs » dans son titre original retrace avec des phrases sèches et sobres la routine des missions de patrouille, l’apparente indifférence dans une attente qui fait penser au Désert des Tartares, la griserie du vol et l’action qui donnent sens à la vie de ces hommes, faisant parfois oublier à certains la camaraderie et le sens de l’honneur.
Confession poignante 9 étoiles

Voici un roman historique et une histoire de guerre avec les qualités d’un mythe. À première vue, Salter raconte l'histoire très autobiographique d’un pilote de chasse, Cleve Connell, au service pendant la guerre de Corée. En effet l’auteur, après s'être porté volontaire pour une affectation en Corée et avoir suivi un entrainement au pilotage du F-86 Sabre, a rejoint la 335e escadrille de chasse et d'interception, une unité réputée de chasseurs de Mig. Du 12 février au 6 août 1952, il participe à plus de cent missions. Une victoire contre un Mig-15, le 4 juillet, est officiellement portée à son crédit.
L'histoire se situe sur une base aérienne isolée, proche du Japon, en Corée du Sud, où des missions d'interception sont effectuées régulièrement dans le Nord pour détruire des avions de chasse nord-coréens. Cela plaira aux amateurs de jeux-videos, pour qui l’horreur de la mort n’a aucune importance face à la gloire guerrière. Le champ de bataille est le ciel, la localisation et le ciblage de l'ennemi se font à vue d’œil. Cela a presque des airs de Saint-Exupéry.

Les Américains utilisent leurs F-86 Sabre pour descendre des Nord-Coréens qui utilisent des MIG-15 russes. La réflexion quasi obsessionnelle du personnage principal, Cleve Connell, porte sur la compétition que se livrent les pilotes entre eux. On assiste, impuissant, à la lente auto-destruction du jeune et brillant pilote de chasse, devenu capitaine de l'US Air Force grâce à ses prouesses en voltige aérienne. Mais celui-ci ne trouve que de la frustration dans chacun de ses combats, tandis que d'autres autour de lui, parviennent à la gloire. En particulier un détestable rival aux valeurs opposées aux siennes qui réussit à s’inscrire régulièrement au palmarès américain grâce à la chance, par la manipulation des autres et grâce à des faits parfois inventés.

Salter brosse des portraits vibrants des héros du ciel et des paysages dans lesquels se déroule l’action. Le ton est fataliste dans la peinture des portraits des protagonistes. Il faut que Cleve Connell surmonte son conflit entre la réputation dont il rêve et la perception de sa fragilité et de la fragilité humaine. Il est impuissant devant le sort quand il voit des camarades tués dans l'exercice de leurs fonctions, alors qu’un intrus et un profiteur ramène sans cesse à lui une gloire injuste. On suit Cleve Connell avec émotion dans son insatiable introspection tout en côtoyant la sagesse du mythe.
Et si le livre descendait tout simplement l’inanité de cette compétition et l’absurdité totale de la guerre? Le manque de réflexion politique à propos des raisons de cette guerre souligne justement l’absurdité du jeu auquel, malgré soi, le lecteur lui-même finit par se prendre. On éprouve vite une réelle empathie pour ce rêveur isolé plein d’audace et de ténacité qu’est Cleve Connell. Son objectif compulsif d’atteindre la gloire en descendant cinq avions ennemis et devenir ainsi un « as » est constamment contrarié, …un signe du ciel ? Des jeux de jalousie et d’hypocrisie mettent le feu aux poudres et une rivalité sans merci s’est installée entre les aviateurs rivaux. Se retrouverait-on face à la force d’écriture d’un Hemingway? Un thème sous-jascent est le rapport à la femme et leurs fantasmes lors des permissions au Japon. Un havre de réflexion? On ne lâche bientôt plus le livre et la fin est …soufflante. C’est le propre des mythes.

Deashelle - Tervuren - 15 ans - 3 septembre 2016