La maison circulaire
de Rachel Deville

critiqué par Blue Boy, le 16 avril 2016
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Rêvalités
Après avoir consigné ses rêves pendant plusieurs années, Rachel Deville les a réunis dans une bande dessinée à l’onirisme doux-amer et déconcertant.

Dès la préface, signée du psychanalyste Hervé Castanet, le lecteur est prévenu : « Celui qui cherche un récit de bon sens, son avant et son après, sera déçu. Les récits sont décousus, ne trouvent pas à la fin l’explication qui permettrait de se dire : « Ah oui ! J’ai compris. C’était donc cela ! » Celui qui attend la chute en sera pour ses frais. »

Amateurs de bonnes histoires bien ficelées, passez votre chemin ! En effet, Rachel Deville nous emmène dans ses rêves, des rêves doux-amers et indéchiffrables, mais très proches de la réalité la plus triviale, tels des cauchemars en forme de nuits blanches où plane une menace permanente, des rêves à des années-lumière d’un paradis où dégoulinerait un miel d’amour et de bons sentiments. Comme le dit Castanet, Rachel Deville est une « dure » qui ne cherche pas enjoliver ses rêves sous le prisme du fantastique ou du merveilleux. Elle s’y met en scène sans une once d’ego, ne cherche même pas à les analyser, nous les livre tels quels, sans fards, ce qui s’apparenterait presque à un acte de bravoure. Cette « maison onirique » nous fait ainsi tourner en rond dans des dédales interminables débouchant sur des pièces immenses, avec la présence récurrente d’échelles et d’escaliers. L’auteur y croise des êtres désincarnés, renforçant le sentiment de solitude, sans aucun indice vers la porte de sortie. Il appartiendra au lecteur d’en trouver la clef (ou pas), et en ce sens, cette BD invite à la réflexion.

Le trait noir et blanc, qui par moments évoque des œuvres de la peinture surréaliste, est parfaitement adapté au propos. Les hachures et autres croisillons, tout en conférant une profondeur esthétique à l’ensemble, viennent accentuer le côté sombre et menaçant de ces rêves.

La démarche pourra s’avérer digne d’intérêt pour quiconque acceptera de laisser à l’entrée de cette « Maison circulaire » son guide et sa boussole. C’est une expérience de lecture pour laquelle il faudra abandonner ses repères en endossant le rôle d’observateur plus que de lecteur. Certains s’amuseront à décrypter ces songes sous une perspective freudienne rassurante, d’autres ressortiront de cette maison avec le tournis, encore plus désorientés qu’avant d’y pénétrer, mais chacun devra s’efforcer de faire sa propre analyse, Rachel Deville ne livrant aucune clef. Comme pour la réalité « vraie », les rêves ont leurs propres lois, et si ceux-ci nous paraissent souvent inintelligibles à nous, êtres du « monde réel », sommes-nous donc tellement convaincus que ce dernier est moins étrange, plus rassurant ? Au fond, l’auteure ne nous dit pas autre chose et c’est peut-être ce qu’il faudra retenir de cet ouvrage.