La nuit du bûcher de Sándor Márai

La nuit du bûcher de Sándor Márai
(Erösitö)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Alma, le 12 avril 2016 (Inscrite le 22 novembre 2006, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 297ème position).
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Dans l'enfer d'un tribunal ecclésiastique

C'est une longue lettre, une lettre de de 272 pages .
Celle qu'écrit d'Italie en 1600 à ses frères inquisiteurs restés à Avila, un moine espagnol venu prendre des leçons d'inquisition auprès du tribunal ecclésiastique de Rome.

Il y présente un bilan de ses 16 mois passés en compagnie des moines inquisiteurs italiens, de leurs pratiques pour amener à la repentance et l'abjuration ceux qui sont entre leurs mains, des différences entre les tortures infligées dans les deux pays, et dégage ainsi la spécificité des procédures qu'il a pu observer dans la ville papale .

Le frère espagnol va parachever son parcours initiatique - qu'on appellerait actuellement « stage de perfectionnement » - en se voyant autorisé à suivre la dernière nuit de Giordano Bruno (dont on peut voir actuellement la statue sur la place du Campo dei Fiori où s'élevaient les bûchers sur lesquels on brûlait les hérétiques). Malgré les sept ans de prison et de tortures, ce prêtre apostat, intellectuel hérétique, ne s'est jamais rétracté . En cette dernière nuit où selon la coutume italienne un inquisiteur l'accompagne et l'exhorte à renier ses certitudes, il renonce fièrement, calmement et obstinément à se repentir et à reconnaître ses fautes .
L'expérience de cette dernière nuit et de l'exécution publique au petit matin laissera des traces chez ce moine espagnol et ébranlera ses certitudes. L'objectivité du témoin et du chroniqueur laissera alors la place au regard critique du juge .

Inspiré de documents d'époque dont Márai signale l'origine, c'est une plongée dans l'univers violent, cruel , impitoyable de ceux qui sont convaincus qu'ils sont les bras armés de Dieu et qui n'ont que méfiance à l'égard de la diabolique invention récente de l'imprimerie. Elle permettrait la propagation d'écrits jugés pernicieux car menaçant la foi aveugle en provoquant «  la terrifiante possibilité d'une réflexion indépendante »

Roman écrit par Sandor Márai en 1974 alors qu'il vit en exil en Italie, son œuvre ayant été jugée bourgeoise et dangereuse par le pouvoir communiste hongrois .
Roman coup de poing, oppressant par son contenu qui entraîne le lecteur dans les coulisses de cette officine où les bourreaux opèrent au nom de Dieu, en toute bonne conscience, et roman souvent glaçant par la froideur apparemment détachée du compte-rendu précis et circonstancié que fait le moine de ce qu'il a observé .

Si sa lecture m'a semblé bien éprouvante car il y est fait mention de tortures dignes de l'Enfer de Jérôme Bosch, je l'ai trouvée néanmoins salutaire car même si l'Inquisition a disparu des pratiques de l'Eglise des Chrétiens, la peste de l'intolérance religieuse est toujours bien présente au nom d'autres Dieux, dans d'autres pays où, telle un phénix, elle renaît de ses cendres , y exerce sa barbarie et y étend ses ravages .

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L'inquisition dans tous ses états

8 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 67 ans) - 5 mai 2021

Dans La Nuit du Bûcher de l’écrivain hongrois Sándor Márai (1900-1989), c’est de la condamnation et de la mise à mort de Giordano Bruno dont il est question. Pour en faire le récit, le romancier a eu l’ingénieuse idée de créer un personnage, en l’occurrence un frère carme dont le nom, d’ailleurs, n’est jamais indiqué, qui, venu d’Avila en Espagne où il est, en quelque sorte, en apprentissage au sein de l’Inquisition, veut parfaire sa formation en tant qu’observateur des usages romains. Au jeu pervers de l’Inquisition, en effet, c’est Rome qui est la référence et le modèle.
Écrit à la première personne du singulier, sous la forme du compte-rendu du voyage initiatique de ce frère carme (de 1598 à 1600), le texte abonde en constatations et en analyses sur les méthodes des inquisiteurs romains, mais aussi et surtout sur le but à atteindre pour ceux qui se donnent corps et âme à cette sombre mission. Or c’est d’une véritable société totalitaire dont il s’agit, une société qui n’a rien à envier à celle qu’imagine, de manière futuriste, le romancier George Orwell dans son 1984. Il n’est pas nécessaire de se projeter dans le futur pour décrire un monde d’oppression, certaines pages de l’histoire font totalement l’affaire.
À Rome, sous le règne du pape Clément VIII, le cardinal inquisiteur Robert Bellarmin s’ingénie à mettre en place un système de surveillance et de délation auquel nul ne peut échapper. Tout homme (et toute femme) étant considéré(e) comme potentiellement hérétique, Robert Bellarmin, au moyen de son esprit retors, a imaginé de s’appuyer sur la candeur des enfants, prompts à répéter innocemment les propos de leurs parents. À cela s’ajoutent, bien évidemment, les suspicions et les haines de tous les tyrans. Elles visent particulièrement les livres, la connaissance ou le savoir étant considérée comme la voie royale menant à l’hérésie.
Mais surtout, et c’est sur ce point qu’insiste énormément le texte, il s’agit, lorsqu’un « hérétique » est arrêté et mis en prison, de s’assurer de son repentir et de sa conversion. En somme, pour les inquisiteurs, le but à atteindre, c’est de sauver l’âme de celui qui s’est prétendument égaré. Pour ce faire, tous les moyens sont bons, à commencer par la torture, mais également, de manière plus douce, par des essais de persuasion au moyen de raisonnements. Il est des hommes formés pour parvenir à cette fin : on les appelle confortatori. Si ces hommes échouent, si le condamné meurt sur le bûcher sans s’être repenti, les inquisiteurs en sont très affectés. Mais les échecs sont rares, les moyens de persuasion et d’intimidation particulièrement efficaces.
Or, dans le cas de Giordano Bruno, tous les efforts déployés par les confortatori sont vains. Le condamné, lui qui avait osé prêcher l’accord de l’intelligence et de la foi, ce que Bellarmin considérait comme une traîtrise, le condamné, humilié, dénudé, est brûlé vif sans avoir accordé à ses bourreaux un mot de contrition.
Sans vouloir dévoiler plus que nécessaire la fin de cet impressionnant roman, je peux néanmoins préciser que la mort sans repentance de Giordano Bruno non seulement ne laisse pas indifférent le frère carme, le narrateur, mais qu’elle introduit le doute dans son esprit. Lui qui avait entrepris le voyage à Rome afin de parachever sa formation d’inquisiteur, le voilà ébranlé dans ses convictions et prêt à poursuivre sa route plutôt que de rentrer en Espagne. Mais poursuivre sa route pour aller où et pour y découvrir quoi ? D’autres réalités peut-être mais aussi d’autres formes d’oppression car, dans le monde de cette époque, elles ne sont pas rares.

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