Nord Alice de Marc Séguin

Nord Alice de Marc Séguin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 5 avril 2016 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
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Aimer à Kuujjuaq

Le héros étudiait en médecine à l’université de Montréal quand il a connu Alice, une Inuit qui suivait les mêmes cours que lui. Les deux ont poursuivi leurs études à l’université Queens de New York. C’est dans cette grande ville qu’ils se sont aimés follement, mais, leur diplôme obtenu, ils ont choisi des chemins différents pour exercer leur métier. Alice s’est installée à New York, et le héros s’est rendu au Nunavik, plus particulièrement à Kuujjuaq, où on s’adonne plutôt à une médecine de brousse.

Ce médecin, le narrateur du roman, est chirurgien dans un milieu lourd qui se caractérise par une kyrielle de cas graves, voire irrémédiables. Les incidents tragiques y sont rapportés sans ménager le lectorat : des têtes coupées par les pâles d’un hélicoptère, des os broyés, des suicides ratés, des crashs d’avions qui confinent les survivants au fauteuil roulant. Le peuple est résilié devant la précarité de leur situation. La mort attend les Inuits à tout moment. Et la nature est indifférente à leurs misères. La chasse et la pêche aux chars (ombles) représentent des risques extrêmes dont il faut relever le défi pour ne pas mourir de faim. Et les captures se mangent cru parce que la forêt est absente des contrées boréales. De la neige à perte de vue. Seul s’entend le vrombissement aliénant des motoneiges, engins dangereux pour les utilisateurs mêmes. Marc Séguin a brossé un tableau exemplaire de la vie au Nunavik, un tableau loin des touristes qui se rassemblent plutôt dans les hôtels de Kuujjuaq pour capter le paysage avec des gadgets électroniques à partir de la fenêtre de leur chambre. Mais la réalité leur échappe.

Le héros blanc, lui, s’enfonce dans ce milieu hostile avec un zèle peu commun. Il en a cousu des chairs mutilées. Derrière une attitude se cache un dessein. C’est le noviciat de l’amour pour ce médecin, qui espère séduire à tout jamais l’Inuit de sa jeunesse, sa « belle inquiétude ». Il se prépare fébrilement à la revoir en s’initiant à la culture qui l’a façonnée. Il cherche la voie qui mène au cœur de l’étrangère. La mentalité de la population du sud n’a pas d’accointances avec celle de l’aire boréale. On peut comprendre ses silences devant les patients. Il veut les sauver en les épiant sans intervenir avec des paroles qui seraient incongrues pour le peuple qu’Il dessert. Il veut atteindre le cœur à travers le corps qu’il soigne. Silence devant des situations qui reconduisent, par exemple, la femme battue au sein de sa famille. Alice a fui en fait cette culture identifiée à la violence et aux sentiments frustres. Elle veut aimer sans se condamner à subir les affres des mauvais amants.

En somme, c’est l’histoire d’un amour platonique que le héros tente de transformer en amour véritable, mais idéalisée. Il cherche la lumière à travers les actes pas nécessairement évidents de ses ancêtres. De l’arrière-grand-père qui s’est éloigné de sa femme pour s’enrichir avec l’or du Yukon, du grand-père qui est mort en service pour son pays pendant la Deuxième Guerre mondiale, il apprend l’art de vivre avec une femme, mais surtout l’art d’affronter les forces hostiles qui menacent les sociétés en brandissant le spectre de la mort. Une lutte contre la mort que l’on doit combattre avec les mêmes armes pour survivre.

Survivre en déployant toutes ses forces dans un monde engoncé dans des valeurs peu explicites ou des valeurs religieuses qui servent de tampon contre l’inacceptable afin que les spoliateurs accomplissent leur sale besogne pour s’enrichir aux dépens de ceux qui surnagent.

On se bat avec fermeté afin de porter le coup de la victoire. Tout le style s’adapte à cette volonté de puissance : phrases hachurées, phrases d’un mot pour éviter la discussion, aphorismes pour s’assurer de sa logique. Ce roman écrit à la testostérone en décevra quelques-uns peut-être avec sa fin ouverte. Il reste que c’est une œuvre bien ficelée, intéressante et instructive pour ceux qui veulent vraiment connaître les Inuits et découvrir des valeurs qui ne leur soient pas imposées par des diktats convenus.

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