Les lièvres de jade
de Éric Allard, Denys-Louis Colaux, Laurence Burnevich (Dessin)

critiqué par Débézed, le 30 mars 2016
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Amitié littéraire
Allard et Colaux semblent avoir en commun certains gènes littéraires, aucune analyse ne pourra le confirmer mais leurs écrits le laissent indubitablement penser. Ils ont donc décidé d’écrire un recueil à quatre mains, Colaux présente le projet dans sa note liminaire : « Allard, lui ai-je écrit, je vous propose une aventure de coécriture. Plaçons, pour épicer l’affaire, ce projet sous quelques consignes. Il sera question de la Lune, nous écrirons chacun quinze épisodes d’une dizaine de lignes, et dans le récit, nous nous croiserons. Rien d’autre ». Le cadre était dressé, il ne restait qu’à écrire et nos deux lièvres sont partis, pour une fois, à point, ils ont fait gambader leur plume respective chacun sur sa plage/pré pour finir par se rencontrer comme ils l’avaient prévu. Et comme le résultat était probant, ils ont décidé d’écrire une seconde série de quinze textes.

La Lune est leur totem, ils l’avaient inscrit dans les contraintes imposées à leurs récits, ils la vénèrent avec les mots, les phrases, les aphorismes, les images, les clins d’œil, les allusions, …., avec toutes les armes pacifiques du poète. Ils l’adulent car la Lune est mère de toutes les femmes qui nourrissent leurs fantasmes, « Les femmes sont enfants de la Lune », la femme est la muse du poète, les femmes sont nourriture du poème. Colaux la chante, dans sa première série de textes, comme un chevalier médiéval, comme Rutebeuf, comme Villon, comme … d’autres encore qui ont fait que l’amour soit courtois et le reste. Allard m’a fait très vite fait penser à Kawabata et plus particulièrement à Kawabata quand il écrit « Les belles endormies », je ne fus donc pas surpris qu’il cite le maître japonais au détour d’un de ses textes et qu’il intitule un autre précisément « Les belles endormies ». Pas surpris mais tout de même étonné que nous ayons en la circonstance les mêmes références, peut-être avons-nous, nous aussi, quelques gènes littéraires en commun ?

Il y a une réelle proximité ente ces deux poètes, leurs modes de pensée respectif semblent très proches et ils expriment le fruit de leurs pensées dans un langage et un style qui pourraient leur être commun. Dans la seconde quinzaine de textes qu’il propose, Colaux m’a rappelé les textes d’Allard dans « Les corbeaux brûlés » que j’ai commentés il y a bientôt dix ans, on croirait ses textes immédiatement issus de ce recueil, les femmes qu’il dessine ressemblent étonnamment à celles qu’Eric fait glisser entre les pages de son recueil. Il y a du Léo Ferré dans ces deux séries de textes. Colaux dessinent des filles tout aussi liquides, tout aussi fluides, que celles qu’Allard fait ondoyer dans « Les corbeaux brûlés », comme celle que Ferré chante :

« C’est extra, une fille qui ruisselle dans son berceau
Comme un marin qu’on attend plus ».

Deux grands poètes qui ont magnifiquement chanté, en prose, la Lune, l’astre féminin par excellence, et la femme non pas la femme mère ou fille, non, seulement la femme éternel idéal féminin source de tous les fantasmes qui agitent les hommes depuis qu’Eve a croqué la pomme. Leurs textes sont d’une grande élégance, d’une grande finesse, tout en laissant la place à de nombreux artifices littéraires, à de jolies formules de styles et à des clins d’œil qu’il faut dénicher. Un chouette pari littéraire, de la belle ouvrage !

« Se pourrait-il que parfois la Lune aboyât aux chiens ? » (Colaux)
Regards de poètes 9 étoiles

Qui n'a pas subi un jour l'influence de la Lune, de sa douce lumière, de sa présence ?

C'est avec plaisir que j'ai ouvert "Les lièvres de Jade", lapins lunaires qui m'intriguaient et dont je voulais découvrir les aventures. Sous les identités de Denys-Louis Colaux et Eric Allard, ils vont explorer la Lune sous toutes ses coutures. La Lune, mère de toutes les femmes, envoûtante et inaccessible.

Livre "d'inscience-fiction", cette expédition poétique est formidable. A quatre mains, les deux poètes nous parlent de la Lune en laquelle ils voient LA Femme, belle, mystérieuse, évanescente. Au fil des pages, ils clament leur amour et leur admiration pour ces êtres qui les subjuguent.
Beaucoup d'humour dans ces textes - la première partie de Denys-Louis Colaux est particulièrement drôle - beaucoup de fantaisie, de délires partagés, d'envolées majestueuses et de lyrisme assumé ; de l'émotion encore et toujours, de multiples références littéraires, et une complicité entre ces deux plumes qui ont bien fait de se croiser. Eric Allard, dans la dernière partie, nous émeut avec l'histoire de Seiji et Michiko.

Deux poètes, comme il en existe encore, qui font un bien fou, qui n'hésitent pas à mêler le rêve, la réalité, la condition humaine, le monde dans lequel nous vivons, la vie, la mort, l'homme pour ce qu'il est, la femme comme elle sait être, avec un regard bienveillant, une humilité louable et deux plumes talentueuses.

Tu meurs vraiment, c'est inéluctable, le jour où tu deviens ce livre que plus personne ne lit. Et tout le reste n'est que littérature

Quand il scrutait les visages, il n'apercevait distinctement que la bouche et les yeux, et seulement des traits à l'endroit du nez et des oreilles. En gommant la carnation de la peau, comme sous l'effet de plusieurs couches de maquillage. Ce qui rendait les femmes encore plus évanescentes, aux faces réduites à leurs capteurs sensibles. Telles des mers scintillant à la lueur du soleil couchant

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 23 avril 2016