Le bouffon de la montagne de Christophe Bigot

Le bouffon de la montagne de Christophe Bigot

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 25 mars 2016 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 7 étoiles
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La face odieuse de la Révolution

Passionné par les événements qui ont constitué la Révolution de 1789, Christophe Bigot a, au cours de ses recherches historiques, rencontré Laurent Lecointre, un personnage haut en couleur, qui pouvait lui servir de fil rouge pour raconter les coulisses de cette révolution entrée dans la mythologie. Quand la France entre en ébullition, en 1789, ce riche commerçant versaillais entend bien être un acteur important de ce grand mouvement qui transformera le pays de fond en comble. « Le goût de l’intrigue, la passion de la combinaison et la fièvre de la chicane » faisant le fond de son caractère, il se démenait pour se rendre utile auprès des membres de l’Assemblé nationale, n’hésitant pas à en réunir certains autour de sa table richement garnie. « Duport était le pionnier de la Révolution, Mirabeau son astre, Marat sa vigie. Target était un esprit droit, Effort un grand cœur. Le seul qui l’eut déçu était Boislandry… » et tous ils avaient honoré son invitation. A force de se démener, d’intriguer, de dénoncer, il parvient à obtenir des fonctions relativement importantes et même à devenir député.

Lecointre est un révolutionnaire sincère mais il agit souvent à contretemps, prends des initiatives souvent malheureuses, des risques inutiles et insensés, ses alliés le lâchent pour ne pas subir les conséquences de ses audaces maladroites. Un de ses ennemis (il en avait toujours un privilégié dont la chute pourrait lui profiter : le futur Maréchal Berthier, Beaumarchais, Robespierre lui-même…) le dépeint dans un long poème - La Laurentiade, ou Faits et gestes du preux et vaillant chevalier Laurent Lecointre - comportant cet extrait sans doute outré mais pas dénué de tout fondement :

« L’air d’un conspirateur, le maintien faux et louche,
Le front en pointe et l’œil passablement farouche ;
Le nez crochu ; de plus on voit sur son chignon
Flotter quatre cheveux : tel est le compagnon. »

La biographie construite par Bigot est certainement très proche de la réalité même si elle comporte certains passages relevant de la pure fiction, l’auteur explique sa démarche dans une postface très explicite. A mon sens, il lui fallait un personnage capable de supporter la démonstration qu’il voulait conduire : la transformation d’une révolution porteuse des idéaux les plus nobles en une boucherie odieuse alimentée par les instincts les plus vils. Un frère du héros le présente comme suit : « Je ne crois pas qu’il soit fou. Comme tous les comploteurs, il est persuadé qu’on complote contre lui. Comme tous les méchants, il se croit persécuté. Mais il est rusé comme un renard ». Même si son investissement révolutionnaire est sincère, il ne manque aucune occasion pour arrondir sa fortune déjà bien conséquente.

Comme nombre de révolutionnaires, il a navigué entres ses idéaux, ses intérêts, ses amitiés, ses haines, ses ambitions, frôlant parfois le précipice, exposant exagérément sa famille, il n’a pas toujours su choisir ses amis et ses alliés. « Depuis toujours son cœur balançait entre jacobins et Cordeliers, la Convention et le Commune, les bancs de la représentation nationale et le pavé des faubourgs ». Victime de ses errements, il s’est retrouvé de plus en plus isolé, abandonné de tous. Quand « Les mots se convertissaient en cadavres » que « Le glaive s’incarnait dans la machine hideuse dont le docteur Guillotin venait de présenter les mérites à l’Assemblée », Lecointre comprit que la Révolution avait dérapé, qu’elle était devenue un monstre assoiffé de sang mais il espérait toujours sauver la cause du peuple et lui rendre justice.

Christophe Bigot, à travers ce héros picaresque, cherche à montrer comment quand on célèbre cet événement, on oublie souvent que la Révolution française a eu une face particulièrement sinistre. Presque toutes les grandes municipalités nationales possèdent une rue à son nom mais rares sont celles qui rendent hommage aux victimes innocentes, souvent considérées comme de simples dégâts collatéraux. Cette révolution est un énorme mouvement de révolte, de courage, de générosité mais aussi l’une des pages les plus odieuses de l’histoire de France et, pour l’auteur, même parfois une farce malsaine. « Il y a en effet dans la Révolution une alliance de l’horrible et du farcesque. Une théâtralité qui artificialise et exacerbe tout. Une électricité qui passionne, galvanise et hystérise. Un ridicule latent, découlant parfois des excès sanglants eux-mêmes… »

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