Notre point de vue suisse
de Carl Spitteler

critiqué par Septularisen, le 22 mars 2016
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
Et quand la douleur sanglote elle rend le même son dans toutes les langues.
Carl SPITTELER… Qui ? Carl Friedrich Georg SPITTELER (1845-1924), Prix Nobel de Littérature en 1919 est un écrivain suisse, malheureusement aujourd’hui complètement tombé dans l’oubli de la littérature mondiale. Au début du XXe Siècle, il était toutefois un poète aristocratique et désenchanté, un écrivain de renommée mondiale, croyant plus aux personnalités d’exception qu’aux idéaux du progrès. Pour son plus grand malheur, aujourd’hui ses romans allégoriques et symboliques, sa poésie épique, ne sont plus guère à la mode…

« Notre point de vue suisse » n’est pas à proprement parler un livre, c’est un court texte d’une trentaine de pages, qui est la transcription d’une conférence intitulée «Unser Schweizer Standpunkt », donnée par l’écrivain, le 14 décembre 1914 à Zurich.
Rappelons tout d’abord les circonstances de cette conférence, nous sommes alors au début de la Première Guerre Mondiale, et la Suisse est divisée entre les cantons alémaniques et francophones sur la position à prendre.
Carl SPITTELER avait alors 70 ans, et sort de sa retraite, se présentant comme un simple particulier qui s’adresse à ses compatriotes suisses allemands (« C’est à contrecœur que je quitte ma solitude pour parler d’un sujet qui, en apparence, ne me regarde pas. »).

Il revient longuement sur les relations, alors fort tendues entre les suisses romands et les alémaniques. (Rappelons ici que l'auteur est lui-même suisse alémanique et s’exprime en allemand). SPITTELER prends ses concitoyens à contre-pied et les engage à ne pas voir ses propres ennemis dans les ennemis de l’Allemagne.
S’il parle de l’influence, compréhensible, de la France et de l’Allemagne, sur les deux grands cantons Suisses, il appelle ses concitoyens à s’en tenir à la vérité, surtout quand elle est plurielle et diverse, à se comprendre, à mieux se connaître ( … «Notre union doit être plus étroite»…).

Il demande aux Suisses, invoquant la neutralité du pays (« Certes pour nous autres neutres, la meilleure des choses serait d’observer la même distance à l’égard de tous. »), de remettre dans une juste perspective, le réel de la guerre, la douleur, la mort, la tristesse, la souffrance, et leur demande de se tenir en dehors et au-dessous de la mêlée et de faire preuve de respect, modestie et compassion avec les autres peuples d’Europe.(« Les mots de république, de démocraties, de liberté, de tolérance sont-ils pour les Suisses d’importance secondaire ? Il fut un temps – un temps que j’ai vécu – où ces mots disaient tout en Europe… »).

C’est un texte fort, («L’homme qui meurt pour sa patrie joue un rôle plus noble que celui qui recourt à l’insulte pour la défendre»), un véritable «coup de gueule», constructif néanmoins, qui ne se veut pas donneur de leçons, mais propose des pistes, des solutions pour un avenir commun… A l’heure où des velléités d’indépendance toujours plus fortes se font sentir entre les deux communautés de Belgique, à l’heure où l’Europe se retrouve face à face avec certains de ses plus vieux démons et où le repli identitaire et nationaliste n’a jamais été aussi fort, peut-être devrions nous relire ce texte et en tirer des enseignements pour l’avenir…

Si ce court texte ne peut en aucun cas être représentatif du style et de l’écriture de l’auteur suisse, il s’agit néanmoins d’une bonne introduction pour découvrir et connaître Carl SPITTELER, l’homme derrière le grand écrivain…

Rappelons que Carl SPITTELER a été lauréat du Prix Nobel Littérature en 1919.