Juger Pétain
de Philippe Saada (Scénario), Sébastien Vassant (Scénario et dessin)

critiqué par Blue Boy, le 14 mars 2016
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Le procès de la collaboration
En France, rarement un homme d’Etat aura été autant source de discordes que Pétain. Aujourd’hui encore, le personnage subit le mépris d’une grande partie des Français. Car même s’il n’a cessé de clamer que, pour le bien de son peuple, il préférait la collaboration à la guerre, il a tout de même envoyé des milliers de Juifs à la mort. Mais s’en tenir à ce seul constat serait oublier que l’homme n’est pas arrivé à la tête du pays par hasard et qu’à l’époque, il bénéficiait d’une immense aura pour son rôle héroïque dans la Guerre de 14-18. Ce que rappellent fort judicieusement les auteurs à travers les étapes de ce procès.

Retracer le déroulé d’un procès, si mémorable soit-il, aurait pu vite s’avérer rébarbatif, même en bande dessinée. Bien au contraire, la narration est ici très plaisante. Sébastien Vassant, tout en respectant la chronologie des plaidoiries, se met à la place du lecteur lambda en présentant les protagonistes et en énonçant des rappels historiques bienvenus. Mais surtout, il sait glisser des phases de respiration en utilisant les procédés métaphoriques et ludiques dans la mise en page que seule la BD permet, le tout relevé par un humour grinçant. Agrémenté d’une monochromie sépia, le dessin de Vassant s’attarde davantage sur les personnages et les visages que sur les décors, avec un talent certain pour saisir les expressions et les âmes, tels le « regard reptilien » de Pierre Laval, ou la mine à la foi fatiguée et gonflée d’orgueil de Philippe Pétain.

Tous ces éléments font de « Juger Pétain » un excellent ouvrage pédagogique. A l’aide d’une documentation fouillée, les auteurs ont tenté de comprendre comment la France a pu sombrer dans un tel bourbier durant ces quatre années qui restent comme une tâche honteuse dans l’histoire du pays. Les auteurs ont su rester objectifs, si tant est que l’on puisse l’être face à l’antipathique Laval, retors et arriviste, grand manipulateur devant l’éternel, mais de façon honnête, ils rappellent que le jugement a été voté par un jury partial. En plus d’être ambitieux, Pierre Laval possédait de surcroît un talent oratoire (« sa grande spécialité : il ne dit pas tout ! ») et sut faire de Pétain sa marionnette, du moins c’est ce qui ressort à la lecture. Quant au vieux maréchal, affublé des pleins pouvoirs grâce aux manigances de son « dauphin », il devint littéralement grisé par le pouvoir, se voyant plus puissant que Louis XIV (alors que dans les faits, il n’était qu’à la tête d’un Etat croupion de l’Allemagne nazie).