Ici Londres ! : Une histoire de l'underground londonien depuis 1945
de Barry Miles

critiqué par AmauryWatremez, le 4 mars 2016
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
Londres sur les marges
L'Underground est une notion n'existant plus vraiment de nos jours. En effet, n'importe quel gosse a accès en deux clics sur internet à du porno le plus crade possible, des publications réputées historiquement ou politiquement transgressives. De plus la sexualité n'étant plus vraiment liée à la morale, finalement, ne demeurent que très peu de tabous, du moins dans la part la plus matériellement aisée de la population. Et quant à l'art, plus il joue à l'épate-bourgeois, à feindre de choquer, plus il plaît, et se vend bien. Gilbert et Georges ne sont plus des marginaux et Vivienne Westwood prend le thé avec la Reine.

Ce livre passionnant raconte donc l'Underground de « l'Action Painting » au « Goon Show » à travers les yeux d'un témoin privilégié, Miles écrivait dans « IT », revue « underground » plus ou moins équivalent de « Actuel » dans les années 60-70. Et le lecteur se laisse surprendre à penser que ces artistes, ces auteurs, ces musiciens se croyant tellement subversifs, persuadés de changer le monde étaient au fond de grands naïfs, et leur subversion revêt dorénavant l'aspect de la désuétude, une désuétude sympathique il est vrai. A l'exception d'un ou deux parmi eux, déjà cyniques et rompus à la loi du Marché comme l'escroc du « Punk » Malcolm McLaren ou d'autres.

Cela commence après la Seconde Guerre Mondiale. Après les morts, le « Blitz » et les massacres de civils, les gouvernants ont voulu un retour à l'ordre ancien, ce qui n'était plus possible, la guerre ayant changé radicalement la donne. Les plus jeunes avaient envie de pouvoir créer selon leur idée, en rompant avec l'académisme, s'inspirant d'émigrés américains venus se réfugier en Angleterre comme William Burroughs, Allen Ginsberg ou Brion Gysin, de la « Beat Generation ». Le problème avec ces auteurs est qu'ils confondent souvent audace et imbitabilité, ce qui a fait leur succès étant surtout leurs prouesses sexuelles et homo-érotiques.

L'auteur évoque les clubs londoniens où l'on écoutait les musiques nouvelles, où celles-ci étaient expérimentées, souvent agrémentées de « happenings » divers et variés allant du coup de génie au truc peu ragoutant. Des « performers » se scarifiaient ou se masturbaient sur scène, voire faisaient l'amour, se balançaient des tripes et autres viscères au visage. Même cela présente cette naïveté dont je parlais au début de ce billet car finalement c'était un genre de chahut en plus adulte, des « trips » psychédéliques comme les « Light Shows » du « Pink Floyd ».

Rien de bien vraiment déstabilisant pour le système certes.

Les artistes de « l'Underground » n'étaient pas issus du peuple, ils étaient pour la plupart élèves d'écoles d'Art ayant envie d'inventer leurs propres formes de création inspirées de Dada ou du surréalisme dont on retrouve l'influence jusque dans la musique « punk ». Et le « Do It yourself », mot d'ordre des « Clash » ou des « Sex Pistols » plus tard, slogan du Londres des années 60 ressemble beaucoup au « readymade » de Duchamp, se situe dans la même veine. Parfois le transgressif conduisit à remettre en valeur une perception au fond très classique de la peinture ou de l'écriture, tels les peintres Francis Bacon et Lucian Freud ou Ballard, l'auteur de « Crash » ou des chroniques de Vermilion Sands vers laquelle on aurait envie de fuir en cette période tellement médiocre, sans oublier Michael Moorcok qui a écrit « les Décimales du Futur ».

L'on constate à chaque fois la sottise crasse de la police, des autorités et des purotins représentés par Mary Whitehouse qui traquait le sexe et les sous-entendus partout dans la littérature, le cinéma, les chansons populaires, leur faisant à chaque fois une énorme publicité...

L'ouvrage évoque également quelques uns des « monuments » de « l'Underground » : les tribulations des propriétaires des clubs devenus maintenant légendaires comme le « Roxy », le tournage du film « Performance » de Nicholas Roeg et Donald Cammel avec Mick Jaeger et Anita Pallenberg, les performances de Leigh Bowery. Barry Miles s'amuse aussi avec les légendes autour des dits monuments. Leur érection amène l'auteur du livre à remarquer que cet art « Undeground » est devenu l'Art » officiel, récupéré par la pub et le sacro-saint marché. Il note de plus que le discours de « transgression » est devenu la « doxa » officielle.

Le « Barnum » a récupéré sa propre contestation l'intégrant à sa propre vision du monde en la vidant de sa substance pour vendre des godasses de sport ou du parfum, ou de la « rebellitude » pour les « djeuns ». Ce discours de transgression aseptisé est devenu le dogme ultime, le contester et contester le « Barnum » c'est rejeter le progrès et la liberté.