Morphine
de Szczepan Twardoch

critiqué par Shan_Ze, le 18 février 2016
(Lyon - 40 ans)


La note:  étoiles
Guerre, femmes, drogue
Waouh, sacré roman… très troublant et en même temps, très prenant.
Fin 1939, au début de la Seconde Guerre Mondiale. Dans la Varsovie bombardée, après son siège par les allemands, le lieutenant Kostanty Willemann, morphinomane et tombeur de ces dames, erre dans les rues en pensant en vrac à sa famille, aux femmes et à la morphine...
Le plus dérangeant avec ce roman, c’est sa narration : Konstanty, surnommé affectueusement Kostia et Kostek raconte son amour pour sa femme Hela et son petit garçon Jurek. Cependant, il y a aussi Salomé chez qui il se perd dans les méandres du sexe et de la drogue. Mais derrière Kostanty, il y a une autre voix, qui donne une alternance entre le « tu » et « il », selon qu’elle s’adresse au lecteur ou à son cher Kostek. On se demande longtemps qui peut être ce second narrateur invisible, qui semble connaître passé et futur de chacun. Ce semblant monologue est déconcertant mais aussi complètement envoûtant. L’auteur montre Varsovie sous les décombres, les difficultés d’approvisionnement, les relations compliquées entre envahisseurs allemands et envahis polonais à travers ce « duo ».
Difficile d’aimer cet anti-héros qui ne semble posséder aucune volonté, cède à ses envies et agit plus vite qu’il ne pense. Et pourtant, lors de son voyage, perdu, il est aussi en recherche d’identité, est-il polonais ou allemand ? Qui aime-t-il ? Szczepan Twadoch plonge le lecteur dans les pensées de Kostek, dans l’omniscience de la voix et lui permet de saisir tous les tenants et aboutissements de chaque fait et moment.
Ce livre m’a énormément marquée par sa puissance narrative et l’humour noir de l’auteur qui nous apprend beaucoup sur la Pologne et ses rapports avec leurs voisins allemands au début de la Seconde Guerre Mondiale.
(J’aime beaucoup la couverture du roman, troublante comme l’histoire : on y voit un homme qui souffre enlacé par une sorte de squelette à deux faces dans les rues d’une ville. (C’est l’œuvre d’un certain Georg Grosz, un allemand antimilitarisme qui pratique l’exagération caricaturale. Donc parfaitement choisir par l’éditeur français, Noir sur Blanc). L’image de la couverture originale est plus simple, on y voit un homme avec deux bouches… )
Varsovie violée par les allemands 9 étoiles

C'est la belle critique de Shan Ze qui m'a donnée envie de lire ce roman, et, comme elle, j'ai été complètement conquis par ce récit.

Une originalité du récit (c'est difficile d'être original en écrivant un roman sur la guerre à Varsovie), c'est le mécanisme de narration. En fait il faut un peu de temps pour comprendre qui est exactement ce narrateur (et la question reste ouverte) : est-ce le destin, son âme, la mort ? Le cadre du roman, c'est Varsovie tout début de la guerre, l'armée Polonaise vient d'être mise en déroute et les allemands ne sont pas encore tout à fait installés. La ville est éventrée, triste en hiver, les soldats sont démobilisés et une faune bizarre traine. L'officier polonais, personnage principal, est assez trouble : allemand par son père, il est devenu polonais pour faire plaisir à sa mère. Sa capacité à se faire passer pour un allemand lui permettra de jouer un rôle comme espion. Il est faible, toujours prêt à succomber à la première femme qu'il rencontre, dépendant de la morphine et sous l'emprise totale de sa mère. Mais il est poussé par une force qui lui dicte sa conduite et l'amène à avoir des réactions imprévisibles.

C'est un roman puissant et prenant, parfois dur, c'est aussi une évocation de Varsovie dans laquelle les allemands vainqueurs s'installent, du monde des officiers polonais, d'une nation naissante et patriotique.

Saule - Bruxelles - 58 ans - 2 mai 2016