Le rêve d'un homme ridicule
de Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski

critiqué par Jules, le 8 février 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Un songe bien particulier !
Notre personnage est un homme assez particulier, dans le sens où il commence par déclarer qu’il est un homme ridicule et qu'il passe auprès de tous pour tel.
Cela ne le dérange en rien. Par contre, ce qui le perturbe très fort, c’est qu'il estime être le seul à connaître la vérité, et que cela est très lourd à porter. Selon lui, sa grande découverte est la suivante : "… que tout au monde, partout, était égal. " Il n’a résolu aucune des questions qu'il se posait sur la vie ou d’autres sujets, " Mais tout m'était devenu égal, et les questions s'étaient toutes éloignées. "
Cela fait déjà deux mois qu’il a décidé de se suicider et il a acheté un revolver pour ce faire. Un soir, il marche dans la rue, voit une petite étoile, et cette vision le décide : ce sera pour ce soir ! A peine a-t-il décidé cela qu’il sent qu'on lui tire la manche de son manteau. Il s’agit d'une petite fille de huit ans, la robe trempée et les souliers troués. Cette petite fille l’appelle au secours pour elle et sa maman. Il ne se laisse pas entraîner, malgré ses insistances, et finit par rentrer chez lui. Il maintient sa décision de se tuer, mais, à cause de la petite fille, il ne le fera pas. Il se pose la question de savoir pourquoi, alors qu’il considère que tout lui est égal, il n'arrive pas à oublier cette histoire de la petite fille. Pire, cette histoire ne lui est pas égale et il a pitié d'elle… Il se dit que, tant qu’il ne s’est pas tué, qu’il n'est pas devenu " rien ", il n'est pas indifférent. Mais s'il se tue, le monde disparaîtra pour lui et il n’a donc aucune raison de se préoccuper de cette petite fille et de ce qu’il penserait de lui-même. Le fait est qu'au lieu de se tuer, il va s'endormir et faire un rêve très particulier. Celui-ci, à son réveil, l'amènera à des conceptions bien différentes.
Un tout petit livre intitulé " Un récit fantastique " et extrait du " Journal d’un écrivain ".
Petit peut-être, mais vraiment pas sans intérêt !…
Rêver d'un monde meilleur 8 étoiles

Un homme qui se trouve ridicule depuis le jour de sa naissance décide de suicider. Il achète pour cela un revolver. Croisant le chemin d'une petite fille implorant de l'aide, il passe son chemin et sa détermination s'en trouve renforcée. Alors qu'il pense s'être suicidé (mais le fait-il vraiment?), il fait un rêve dans lequel il accède au plus beau des paradis. Un monde où aucun péché n'existe, ni violence, ni cruauté, ni avidité, rien de tout cela. Notre homme en est ébloui. jusqu'au moment où il dépose ci et là dans cette nouvelle contrée idyllique des graines d'envie, de jalousie, de cupidité... C'est un bouleversement, ce nouveau monde décline à grande vitesse et l'homme ridicule, si cela le fait rire au début, s'en trouve très vite contrarié. A son réveil, une seule revendication: celle d'un monde meilleur qui ne peut exister que si les hommes s'aiment les uns les autres.

Ce texte est avant tout un dialogue. Celui d'un homme avec lui-même, ou alors avec l'Humanité toute entière représentée par une entité invisible et abstraite. Son oraison s'adresse à nous, il balance les mots et les éparpille dans un flux incessant qui finit par rendre hystérique. Le langage est châtié, posé, il semble ne parler qu'à lui mais nous prend cependant régulièrement à témoin. Comme pour avoir le dernier mot sur le monde... Mais ce dernier mot semble impossible, car si le rêve a pris fin, une autre voie s'ouvre sous ses pieds, celle d'un nouvel espoir ou d'une autre désillusion, la constatation de vivre dans un monde qui ne répond en rien à celui que l'on attend. Le rêve devenu réalité est toujours un rêve malgré lui.

Il y a dans ce rêve une compilation de tous les thèmes chers à Dostoïevski, avec un atout supplémentaire: la dimension fantastique du récit permet à l'auteur de quitter la plume romanesque et de donner libre cours à l'égarement de toutes ses pensées.

Un texte très fort dans lequel un auteur, via un héros déchu, se cherche sans se trouver, faisant appel pour cela à de nombreuses références sociales et religieuses qui finissent par constituer un enfermement, que ce soit dans l'espoir ou dans l'échec.

Sahkti - Genève - 49 ans - 16 février 2006


Et je combattrai ! 9 étoiles

J’ai eu du mal au début avec ce récit. Peut-être est-ce dû à Markowicz (c’est la première fois que je lis Dostoïevski traduit par lui). Ça surprend : Il m’a fallu le lire deux fois avant de m’habituer au style, ensuite une troisième fois pour me laisser pénétrer de ce formidable petit récit utopique. Les mots semblent jaillir de la bouche d’un homme exalté et passionné, avec des répétitions de mots, des successions de virgules, des envolées lyriques,… bref c’est du Dostoïevski à l’état brut.

En résumé : un homme qui se sait ridicule et pour qui tout est égal décide de se suicider. Mais voilà qu’il fait un rêve qui le transforme complètement : dans ce rêve il est emporté sur une autre terre, une terre où le péché n’a pas fait son apparition et où l’amour règne sans partage. La description de ce paradis est un pur bonheur, je vous donne un aperçu : « tout irradiait une espèce de fête, une gloire grandiose, sacrée, enfin atteinte. Une mer d’émeraude caressante clapotait doucement sur la rive et l’embrassait avec amour, un amour évident, visible, presque conscient. De grands arbres splendides se dressaient dans toute la splendeur de leurs frondaisons et leurs feuilles innombrables, j’en suis persuadé, me saluaient de leur bruit doux et caressant et semblaient prononcer je ne sais quelles paroles d’amour […]»

Mais notre homme introduit les germes du péché dans le cœur des habitants : ça commence avec la sensualité, la cruauté puis la jalousie. Finie l’harmonie : les habitants se divisent en nations, l'une contre l'autre. La science devient la valeur suprême - ils finissent par préférer la connaissance des lois du bonheur au bonheur lui-même -, ils bâtissent des temples dans lesquels ils vont pleurer sur leur ancienne vie. En fait ils ne savent pas que retrouver le bonheur du début ne dépend que d’eux, qu’il ne faut rien d’autre que l’amour pour cela.

Après son rêve notre homme ridicule est changé du tout au tout. Il répète inlassablement son rêve, sa vision d’un monde meilleur, la seule condition pour y arriver étant : « Aimez-vous les uns les autres ». On se moque de lui, mais il n’en a cure. « Un rêve ? Qu’est-ce qu’un rêve ? Et notre vie, elle n’est donc pas un rêve ? Je dirai plus : tant pis, tant pis si cela ne se réalise jamais, et s’il n’y a jamais le paradis (cela, quand même, je le comprends !), eh bien, moi, malgré tout, je continuerai de prêcher […] Ce qui compte : aime ton prochain comme toi-même, voilà ce qui compte – c’est tout, et il ne faut rien d’autre ».

Pour répondre à FI, il y a « suspicion » de références bibliques, en effet et comme toujours car c’est un élément très important de l’oeuvre de Dostoïevski (cfr en particulier l’insertion d’un chapitre entier de Saint Jean - la résurrection de Lazare - dans Crime et Châtiment, ce qui est unique dans la littérature). Mais ici, ça se limite au message d’amour qui est assez universel et pas spécifique à la bible. Parlons plutôt d’un récit utopique, d’une utopie qui rend meilleur et pour laquelle le narrateur choisit de combattre : « Et je combattrai. Et si seulement tout le monde le voulait, tout se construirait d’un coup. ».

Un très beau petit livre. Comme Daniela je le relirai de temps en temps.

Saule - Bruxelles - 58 ans - 14 août 2004


Un Jésus bien maquillé? 5 étoiles

Me voilà bien suspicieux à propos de cette nouvelle de Dostoïevski qui me semble teintée de références bibliques. J'aime cependant la façon qu'a Dostoïevski de décrire tout simplement ce qui semble être le rêve le plus compliqué au monde. Pas un incontournable, mais pas sans intérêt. Pour les fans de l'auteur... comme moi!

FightingIntellectual - Montréal - 41 ans - 10 mai 2004


un vrai rêve 10 étoiles

Je connais cette petite histoire depuis des années et de temps à autre j'ai un vrai désir de la relire, et elle ne perd jamais.

Pour moi Dostoïevski est un des plus grands, pas seulement parmi des écrivains. Sa façon de nous montrer l'intérieur des gens qu'il décrit est unique je pense. Dans le "rêve" nous pouvons, avec un peu de chance, nous rencontrer nous-même. Des petites réflexions que nous connaissons tous plus ou moins .. qu'est-ce qu'on devient quand on meurt, est-ce que le monde change après ou est-ce que tout reste comme c'était, à quoi bon de rester si on n'en voit pas la nécessité ... est-ce que les hommes (et femmes :) ) ont le pouvoir, peuvent-ils seulement décider de rester en vie ou non? ... et puis - qui aurait pu nous décrire le paradis plus de manière plus exacte qu'il ne le faisait, Dostoïevski, dans "le rêve" ....

Toujours le même sujet c'est vrai mais si on s'y intéresse les mots ne peuvent que détruire et salir l'oeuvre ...

Bonne lecture::)

Daniela

Elahub - Göttingen - 61 ans - 1 mars 2004


Un instant contenant tous les instants 0 étoiles

Je vous dérange une fois de plus dans votre petite vie de tous les jours pour y semer un peu de piment...
Je pourrais vous décrire les sensations qui vous traversent lorsque vos yeux se posent sur les lettres, de lettres en mots, de mots en phrase, en livre, en pensée, en vie, parcourant ce petit livre. Je vais " usiter " à cet effet d’une métaphore, de bon goût.
Le livre vous apparaît sous l'angle du piment noir... Mais il se transforme au fur et à mesure en piment rouge, rouge de vivre, pour terminer comme une révélation, le piment qui manquait à votre vie.... Je suis désolé de digresser, mais les mots m'entraînent sans que nulle raison ne puisse s'y opposer...
Revenons à cette nouvelle d'un des plus grands hommes de notre temps, Dostoïevski (j'aurai, je l'espère, encore l'occasion de revenir sur son oeuvre monumentale que j'ai parcourue avec avidité et dont j'ai bu les mots et les personnages avec tant de plaisir ; je vous parlerai sans doute à cette occasion des " Démons " (ancien titre : " les Possédés ").
Le Rêve d'un homme ridicule... Les premiers sons qui nous traversent les oreilles, je dis sons car la puissance de son écriture est tel un cri dans la nuit, dont la résultante est le frisson intérieur du tout son "Ridicule... Ridicule... [éclats de rire]... Je suis un homme ridicule..."
Je ne pense pas que je vais vous en dire plus, car je ne voudrais pas abîmer son oeuvre de mes mots maladroits. Cette nouvelle comprend tous les thèmes (ou de nombreux) de son oeuvre... La seule différence en est la brièveté et le mode du soliloque au lieu de la passion des dialogues et des visions, compréhension des hommes au travers de regard, de changements de visage, de paroles...
Je voudrais vous dire aussi que j'ai vu ce livre au théâtre... Incroyable.
Si vous avez l'occasion, n'hésitez pas.
À bientôt.

Aleph - Bruxelles - - ans - 13 février 2001