La littérature nazie en France de Grégory Mion, Mathieu Candaele (Illustration)

La littérature nazie en France de Grégory Mion, Mathieu Candaele (Illustration)

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Eric Eliès, le 6 février 2016 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
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Un recueil protéiforme et inclassable, entre philosophie trash et burlesque gore.

Ce livre est un redoutable jeu de massacre, à la fois subtil, trash, violent et obscène. Il contient tous les ingrédients d’un coquetèle détonant, à base d’humiliations, de viols, de crimes racistes et de meurtres sadiques, qui explose à chaque page à la face du lecteur qui aura intérêt à avoir les tripes bien accrochées. Ce n’est clairement pas un ouvrage pour tous publics ou, comme on le dit de certains livres, pour lecteurs avertis....

Précédé d’un avant-propos modeste dans sa formulation mais très ambitieux dans ses intentions et sa volonté de dénonciation du fascisme ordinaire ambiant, La littérature nazie en France s’inscrit dans la filiation du livre de Roberto Bolaño La littérature nazie en Amérique, auquel Gregory Mion a d’ailleurs consacré un commentaire sur le site « critiques libres », mais il me semble que l’auteur aurait pu tout aussi bien revendiquer l’héritage de Sade, dont il reprend la méthode exposée dans la préface aux Malheurs de la vertu : révéler toute l’atrocité du monde et des hommes par la mise à nue, dans une lumière crue, de leur vraie nature et par la représentation très explicite des vices et des pulsions prédatrices de l'homme... Comme Sade, Gregory Mion, qui enseigne la philosophie, maîtrise les outrances de son écriture et sait élever son propos au-delà d’une litanie de crimes glauques et sordides. Nietzsche avait introduit en philosophie l’usage du marteau pour fracasser les certitudes et les croyances des esprits engourdis par les fausses valeurs de la religion et de la morale : Gregory Mion est passé à l’armurerie et a étoffé la panoplie en puisant dans un vaste arsenal, qui va du scalpel au bazooka, pour mieux agresser son lecteur et ne lui laisser aucune chance de s’en sortir indemne…

Le livre se présente, comme le livre de Bolaño dont il s’inspire, sous la forme d’une suite de biographies imaginaires d’écrivains ratés ou de criminels médiocres et asociaux, dont la vie est sous-tendue par une haine viscérale des autres, mêlant racisme, misogynie, antisémitisme, etc. L'écriture n'est pas absente des activités des personnages mais il n'y a pas, pour la plupart d'entre eux, la moindre volonté de faire oeuvre littéraire : elle n'est que le défouloir des fantasmes qui accompagnent de monstrueux passages à l'acte. En effet, dans ces portraits, l’auteur déchaîne, sans redouter aucun excès, un ouragan de violences souvent dignes d’un snuff movie pornographique et gore. Le recueil, qui contient des textes très brutaux à l’écriture crue et parfois vulgaire, voire complaisante dans la mise en scène de la violence, peut initialement susciter un sentiment de rejet. Personnellement, il m’a fallu ménager des pauses dans ma lecture pour digérer certains passages et parvenir à m’immerger dans ces « hagiographies » de personnages glauques et sordides, frères d’âme de ceux croisés dans mes lectures de Sade, de Maurice G Dantec et de Breaston Ellis. Le titre du livre pouvait laisser croire à une galerie de portraits inspirés de la lignée des écrivains nationalistes et/ou racistes et/ou fascistes, qui furent mine de rien assez nombreux en France (Maurras, Brasillach, Céline, Drumont, Gobineau, etc.), mais il s’agit bien, pour l’essentiel, d’une suite de variations sur des profils psychopathologiques globalement similaires dans l'abjection, où s’imbriquent imbécilité congénitale, pulsions meurtrières et frustrations sexuelles.

Néanmoins, sauf dans les premiers portraits un peu trop similaires, il n’y a aucune monotonie. En effet, à ses nombreux criminels anonymes, Gregory Mion a mêlé des personnages réels, auxquels il prête des relations imaginaires (notamment dans ses portraits de Marcelle Poncet, maîtresse de Papon, et d’Etienne Gaston-Gilles, professeur ami et admirateur de Faurisson) servant d'exutoire à toutes sortes d’excès et de confidences. Il s’appuie alors sur un mélange, soigneusement composé, de faits réels et fictifs, entrelacés pour rendre les outrances vraisemblables et perturber le lecteur par des hypothèses qui déforment, avec une ferveur iconoclaste, sa vision de personnages connus. En outre, Gregory Mion sait enraciner ses personnages et leurs actes monstrueux dans un quotidien réaliste minutieusement décrit, presque prosaïque, mais l’écriture se renouvelle sans cesse, avec de brusques variations de style narratif et de niveau syntaxique. Elle alterne, ou oscille parfois dans un même portrait, entre le récit d’un narrateur subjectif, la mise en scène romanesque, l’exposé factuel journalistique, la thèse universitaire et la familiarité d’un récit oral. A côté de formulations stylistiques recherchées et d’images souvent originales, de phrases au vocabulaire précis et soigneusement maîtrisé, il y a des sortes d’éclairs de vulgarité en décalage avec le reste du texte. Dans ces moments, Gregory Mion ne recule devant aucun excès, notamment dans la description (un peu trop méticuleuse) des pratiques sexuelles et/ou des crimes sanglants commis par des cinglés débordant de haine, et assume d’aller jusqu’au grand guignol. En fait, cette outrance est salvatrice car elle désamorce en quelque sorte la violence insupportable de certains récits, en lui ôtant son réalisme trop pesant même si la réalité de notre époque tend, hélas, à concurrencer l’imagination fertile de l’auteur. Il n'y aurait ainsi qu'à mettre un "Allah Akbar" dans la bouche de l’instituteur intérimaire Fabien Quincampoix, quand il découpe au katana toute une classe de maternelle dans une école juive, pour rattraper l'actualité récente... Malgré tout, la radicalité "no limit" et la méchanceté férocement gratuite de certaines scènes m'ont souvent fait rire. En outre, Gregory Mion multiplie les angles d’attaque et, en parallèle de son approche frontale de la violence raciste, il parsème son texte de digressions pleines d'ironie sur les à-côtés de la société et, avec des formules cruelles et bien senties, s’attaque aux institutions et aux valeurs. L'éducation nationale (dont Gregory Mion, en tant que professeur, connaît bien les rouages), l’avant-garde artistique (notamment dans son portrait du cinéaste underground Jean-Jacques Montmorency, à la filmographie délirante), la bourgeoisie parisienne et les maisons d'édition (le portrait de Didier Grand-Georges, lecteur chez Gallimard, est assez grandiose !) sont ses cibles favorites... L’auteur démontre alors un évident talent d'écriture et une vraie capacité à jouer sur plusieurs registres, avec une subtilité qui n'amoindrit pas la violence de ses attaques frontales. Même si certaines me semblent excessives, comme si l’auteur s’était donné la mission malsaine de tirer sur tout ce qui bouge, elles font souvent mouche et permettent des scènes d'un grotesque tragi-comique pleines de vitriol et de fiel. Néanmoins, à mon sens, elles desservent un peu le propos initial, qui était la dénonciation de la survivance au sein de la société des idées nazies et fascistes, et le rendent secondaire ; l’invective et la caricature, de par leur nature intrinsèquement excessive, sont impuissantes à construire une véritable argumentation ou à instaurer une empathie entre le lecteur et un personnage ignoble (quasiment tous suscitent un rejet immédiat et viscéral), qui serait seule vraiment capable (comme dans "Les bienveillantes") de troubler le lecteur et de l’inciter à regarder en lui-même.

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  Précisions sur le commentaire de lecture 2 Eric Eliès 6 février 2016 @ 08:03

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