Il est minuit, monsieur K
de Patrice Franceschi

critiqué par Débézed, le 27 janvier 2016
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Huis clos sous les tropiques
Quand Monsieur O pousse la porte du bar de la Dernière Chance, on s’attend à voir entrer Humphrey Bogart tant le lieu évoque celui qui a servi de décor au film Casablanca, mais il ne s’agit que d’un bar perdu à l’autre bout du monde, à Fort-Dauphin au sud de Madagascar. Monsieur O vient dans ce bar avec la ferme intention de récupérer un dossier ultra sensible, le plus sensible que la Centrale n’a jamais eu en sa possession, le dossier alpha qui contient des informations suffisantes pour mettre en danger l’avenir de l’humanité. Ce dossier a été dérobé par un agent de la Centrale, Monsieur K, qui est entré en cavale, Monsieur O le poursuit depuis vingt ans et peut enfin espérer récupérer le fameux dossier.

Un huis clos digne de celui qui rassemble Lino Ventura et Michel Serrault dans Garde à vue, s’installe alors entre les deux hommes qui s’affrontent pendant toute la nuit avec pour enjeu : la récupération du dossier pour Monsieur O, sa peau pour Monsieur K. Les deux agents précisent les règles du duel, le vainqueur devra triompher par la qualité dialectique de ses arguments. Le voleur est acculé, son bar est cerné par des collègues de Monsieur O, il ne peut pas s’évader, son adversaire ne peut pas l’éliminer sans avoir récupéré le dossier, il serait trop dangereux de laisser un dossier aussi explosif dans la nature.

Monsieur O propose au dissident tout ce que le monde peut offrir : une fortune colossale, l’amour, le bonheur, le pouvoir le plus élevé … mais Monsieur K refuse de céder le dossier dont il ne veut absolument pas se séparer, jugeant que cela serait trop dangereux pour l’humanité. Les deux protagonistes engagent une joute oratoire au sujet du mensonge et de la vérité, l’un accusant l’autre d’être un fieffé menteur, l’autre lui rétorquant qu’il n’est qu’un naïf manipulé par le pouvoir supérieur. Monsieur K essaie de convaincre Monsieur O, il lui explique que si la vérité était brutalement révélée, le monde serait en danger. « C’est la vérité qui vous intéresse ? Mais que voulez-vous que je fasse de cette chose insaisissable, moi ? Le mensonge, au moins, est toujours maîtrisable. Il est précis, circonstancié, fabriqué, décorticable, mesurable ; chacun peut en faire ce qu’il veut… » Il veut lui faire admettre que le monde n’est que mensonges, apparences, habillage, que des masques cachent toujours la vérité. « La vérité et le mensonge, c’est une affaire autrement plus compliquée que celle du bien et du mal… »

Et quand Monsieur O, dans un final inattendu découvre le contenu du dossier, il comprend que l’humanité se bat depuis l’origine contre les mêmes démons qu’elle ne vaincra jamais. « Tout coule, tout naît pour mourir, tout disparaît… » Ce livre est un magnifique huis clos, un véritable essai sur la vérité et le mensonge mais aussi une profonde réflexion sur la nature intime de l’humanité, sur la cupidité, l’envie, la trahison… « Préférez les hommes qui se battent pour de l’argent, vous n’aurez jamais de mauvaises surprises. L’âpreté au gain et la cupidité sont d’une stabilité pour ainsi stupéfiante. Les idées, en revanche … comme instabilité… »

La révélation généralisée de la vérité ouvrirait la porte sur une autre forme de vie sur terre, mais l’humanité a choisi une forme de vie et ne pourra jamais en changer. « … avez-vous songé à toutes ces possibilités de la vie dont nous ne faisons rien ? » Une question qui reste sans réponse, Le néant semblant la seule destinée des hommes. « Etre nulle part est le lot de tout le monde. Seul le mensonge est partout. On pourrait bien appeler ça le néant… »