Passée par ici de Maryse Hache

Passée par ici de Maryse Hache

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Sciences humaines et exactes => Divers

Critiqué par Eric Eliès, le 27 janvier 2016 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 9 étoiles
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L'épreuve de la maladie

Maryse Hache, décédée en octobre 2012, était une poétesse, une peintre et… une clown, qui animait des ateliers en hôpital pour y apporter un peu de joie. Victime d’un cancer en 2005, elle a franchi le miroir pour se retrouver du côté des malades et a raconté son épreuve, comme pour la donner en partage, avec des mots très dignes refusant tout pathos. La poésie lue (sont notamment cités Ludovic Janvier, Paul Celan, Yves Bonnefoy) ou écrite, avec son exigence de vérité dans le rapport au langage, a constitué pour elle une bouée, permettant d’enraciner la réalité vivante de son ressenti dans les mots de la maladie en transcendant le vocabulaire, parfois abstrait et abscons, des équipes soignantes. La poésie a aussi été l’expression d’un combat pour exister au regard d’autrui en tant que personne-sujet, et non en que malade-objet, exigeant d’être considérée avec le respect dû à la personne humaine qu’elle demeure, malgré la « chosification » que suscite la maladie, qui transforme le patient en un amalgame de chair, de sang et d’organes plus ou moins défaillants… A ce titre, il s'agit aussi d'un témoignage, souvent émouvant par l'empathie (et non la pitié) qu'il suscite, sur le rapport à la mort, dont l'ombre englue les moindres gestes, et sur les relations humaines qui se tissent entre le malade et les médecins et infirmiers...

Dire quelques bribes du parcours, avec l’impression qu’il y a, au-delà de la matière individuelle, une matière universelle, une matière qui nous concerne tous. Qui nous concerne tous car sinon pourquoi me tient tellement à cœur – à os, à peau – que, vis-à-vis du monde, je suis en quelque sorte responsable de mes agissements, de mes paroles, de mes pensées, de mes décisions, de mes sourires ? (…) Nommer la maladie par son nom, sans métaphore, périphrase ou litote (…) Je nomme la maladie, ni plus ni moins. J’essaie d’être à l’écart du pathos ou de la commisération, que j’ai en horreur. Ce faisant, je sais que je bouscule, mais la maladie m’a bousculée. Danse autour de moi son onde de choc.

Les poèmes, entrecoupés d’encres de l’auteure et de plusieurs textes en prose qui rendent un vibrant hommage au personnel médical qu’elle couvre (pour la plupart d’entre eux !) de louanges, sont écrits en vers libres très courts, d’une grande densité, qui se déploient sur toute la page en jouant sur les intervalles, déployés comme des silences ou des soupirs entre les mots. Les textes évoquent la prise de conscience des mécanismes internes du corps (qui se dérèglent), du flux du sang qui court dans les veines (dans lesquels des produits sont injectés), des organes enfouis dans la nuit interne des chairs (ouvertes et manipulées), etc.

Front de lumière / dans l’obscurité douce des / viscères / où des mains habiles / palpent / déplacent / soulèvent / retirent / d’énigmatiques organes / elles sont entrées / là où d’aucuns / ne pénètrent / bientôt / elles quittent / la place / et tout retourne / à l’obscur.

La course / de la chimie / dans le flot / rouge / quelle tuerie
Du sang / a pris feu / dans l’urine / lavis

Cette manière d’évoquer l’hôpital et les actes médicaux, en spectatrice objective de la lente dégénérescence du corps soumis aux traitements, m’a parfois fait songer à l’écriture extrêmement dépouillée, et aux images fortes et puissantes, de Marcel Migozzi. Les poèmes avouent la crainte de la mort, omniprésente, avec des mots qui résonnent parfois comme un adieu aux êtres et au monde, contemplé une dernière fois depuis la chambre d’hôpital :

Si je suis / partie morte / c’est bien / vivez / bien / vivez / juste / merci de vous / de toi / tout / aura été / dit.

Laisse / courir / ton esprit / par la fenêtre / sur le chant du merle / dans le déplacement / du nuage / dans le bruit des poubelles / c’est l’heure / de l’abandon / à la vie / du monde

mais cette angoisse est encore un lien avec la vie puisqu’elle est un sentiment universel, ressenti par tous :

dites / comme moi / aujourd’hui pas demain / le présent pas le futur / c’est ici et maintenant / que nous sommes vivants / comme tous les autres / hors du cancer / demain nous finirons / d’avoir vécu / comme tous les autres / hors du cancer

Je parle ma mort – seule manière de la vivre – même lointaine – est-elle si loin ? / J’ai peut-être déjà, sans le savoir, refermé un livre que je ne rouvrirai plus, déjà dit adieu à quelqu’une, à quelqu’un, sans le savoir. / Elle parle sa mort, non probable, non possible, mais certaine, cancer ou pas.


Nota : j'ignorais que l'APHP possédait une maison d'éditions. L'édition est de qualité, avec un beau papier glacé qui met en valeur les encres de l'auteure. Le quatrième de couverture comporte un beau texte de Véronique Fournier, du centre d'éthique clinique de Cochin, qui souligne l'importance des mots de Maryse Hache pour le personnel hospitalier, qui est également confronté à la dureté des souffrances, physiques et morales, endurées par les malades...

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