Quand le diable sortit de la salle de bain de Sophie Divry

Quand le diable sortit de la salle de bain de Sophie Divry

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Hcdahlem, le 5 janvier 2016 (Inscrit le 9 novembre 2015, 64 ans)
La note : 6 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (49 021ème position).
Visites : 3 354 

Quand le diable sortit de la salle de bain… je ne vis pas la vie en rose

Si le titre n’avait pas déjà été pris, on aurait pu intituler ce roman Les Malheurs de Sophie. Car la vie de l’aspirante journaliste-écrivain au cœur de ce récit très créatif – nous y reviendrons – n’est pas très rose. C’est même tout le contraire. Au moment où s’ouvre le livre, elle est proche de la catastrophe. Chômeuse en fin de droits, il ne lui reste qu’une allocation de solidarité spécifique (ASS) pour boucler ses fins de mois.
Mais cette dernière a déjà été mise à mal par les différentes factures (électricité, eau) payées ou restant à payer, si bien que le 20 Sophie n’a plus que 17,70 € sur son compte. Il faut la suivre dans les rayons du supermarché pour comprendre ce que représente ce combat quotidien pour simplement pouvoir manger. Quand prendre un café au comptoir d’un bistrot devient du luxe ou, pire encore, quand l’administration se montre dans toute sa rigidité et son absurdité vis à vis de ses administrés les plus fragilisés. Kafkaïen, mais malheureusement tout aussi quotidien.
Rester digne, ne pas baisser les bras. Ne pas avouer à la famille à quel point sa situation est grave. Telle pourrait être l’autre face de ce combat. Car fort heureusement, il reste la famille – la mère et les six frères Martial, Gaston, Virgile, Kazan, Elie, Tom – pour un séjour qui tient de la cure de remise en forme autant que du bain de jouvence. Les quelques jours à Sullac donnent à Sophie l’occasion de revenir sur son parcours et sur les bons moments qu’elle a vécus, avant de retrouver son petit appartement lyonnais et les soucis du quotidien. Avec peut-être un moyen de s’en sortir… En acceptant un travail de serveuse dans un bouchon, elle va retrouver au moins pour quelques temps le monde du travail.
Ce qui fait toute l’originalité de ce roman – et qui pourra irriter certains lecteurs, reconnaissons-le – tient à la façon dont l’auteur a choisi de mettre son récit en scène. Il y a quelques fantaisies graphiques : polices de caractère, jeux graphiques avec les lettres, typographie sortant du cadre défini, insertion d’un conte pour enfants d’une part, de littérature érotique d’autre part et, de façon beaucoup plus convaincante et drôle, l’arrivée d’interlocuteurs dans le récit qui n’hésitent pas à interpeller la narratrice : sa mère qui n’est jamais avare d’un conseil, son ami Hector qui se plaint du traitement qui lui est réservé et qui exige une scène susceptible de le réhabiliter – il y aura droit – et son éditrice qui ne voulant pas paraître rabat-joie explique qu’«au vu des élucubrations incontrôlables qui émaillent ton manuscrit» il sera difficile d’atteindre des ventes record. N’oublions pas non plus la narratrice elle-même expliquant par exemple, comment elle vient de rater son début de chapitre. Ajoutons enfin Lorchus, le diable qui se permet de sortir de la salle de bain, et le tableau sera complet.
Il convient d’ajouter encore quelques prouesses narratives comme l’accumulation d’adjectifs sur près d’une page entière, la collection de métaphores sorties de la boîte à outils de l’écrivain ou encore le recours à l’anaphore (vous savez le «Moi, président… de François Hollande) pour expliquer que tout était normal dans son existence et l’on aura une bonne idée de cet objet dû à une adulte qui n’avait sans doute «pas fait entièrement le deuil de cette époque bénie où vivre dans ce monde, c’était s’en remettre à une longanime et bienveillante main. »
Pour tous ceux qui ont envie de sortir de la narration classique, qui veulent s’amuser avec un récit dramatique en soi ou qui ne dédaignent pas le fourre-tout, ce roman aura la saveur d’un bonbon acidulé : très piquant par moments, il n’en reste pas moins joliment sucré.

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Les éditions

  • Quand le diable sortit de la salle de bain [Texte imprimé], roman improvisé, interruptif et pas sérieux Sophie Divry
    de Divry, Sophie
    les Éd. Noir sur blanc
    ISBN : 9782882503848 ; 18,00 € ; 20/08/2015 ; 320 p. ; Broché
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La joueuse de mots

7 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 7 mai 2019

Sophie traverse une période difficile. Séparée de son conjoint, sans travail, elle souhaite devenir écrivain ; mais en attendant, elle ne vit que de l’ASS (allocation spécifique de solidarité). L’arrivée d’une facture d’électricité, quelques courses, et Sophie doit "tenir" une bonne dizaine de jours avec 17,70 €.
Mais c’était sans compter la facture d’eau et l’inévitable grain de sable administratif qui bloque le versement de son allocation.

Le livre de Sophie Divry nous plonge au cœur de la pauvreté, de la descente imprévue dans la précarité, dans l’angoisse du lendemain, celle de se nourrir ainsi que le regard des autres sur les chômeurs, leur place dans la société.

Mais l’auteure est surtout une "joueuse de mots" , que ce soit sur le fond ou sur la forme.
Des passages les plus sérieux alternent d’autres carrément lubriques voire pornographiques ; (il faut dire que l’auteure n’est pas totalement libre de son écriture, Lorchus, le diable, prenant régulièrement le contrôle de son écriture.)
Ainsi que les interminables "listes" , comme les 5 pages à la rubrique musicale qui se termine par un "sitan namar dlalist, fodré vouboujé, fodré zarété".
Ou bien le chapitre entier (6 pages !) pour faire la liste du genre d’homme qu’elle n’aime pas ; "ça me laisse peu de perspectives".

Sur la forme, là aussi, on ne s’ennuie jamais.
De créations sémantiques en calligrammes, aux changements de typographies, de caractères, de polices, on ne peut qu’être stupéfait, admiratif, devant cette profusion, ce dynamisme, ce rythme qui donnent une valeur inédite à cet OLDI (objet littéraire difficilement identifiable)
C’est drôle, loufoque, rythmé et très récréatif
"Mais ne nous y trompons pas : ce n’est pas le chômage qui est drôle, c’est la littérature qui peut être une fête."

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