Un peu plus bas vers la terre
de Renaud Cerqueux

critiqué par Débézed, le 5 janvier 2016
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Le grain de sable dans l'engrenage
Stupéfiant ! On m’avait prévenu ce recueil est stupéfiant, effectivement on y consomme pas mal de drogue mais surtout il dépeint de manière plutôt cynique une société, la nôtre comme elle est déjà et comme elle sera plus encore bientôt, totalement déshumanisée, cynique, bassement pragmatique, superficielle, une société qui court tout droit à son échec comme les héros de ces nouvelles. « Dans ce monde, un compte en banque bien rempli est plus utile qu’un supplément d’âme ». Ces héros sont des hommes qui ont réussi mais qui brusquement rencontrent le grain de sable qui vient gripper la machine et les ramène à leur plus prosaïque condition humaine. Les nouvelles sont très souvent construites sur un parallèle entre un homme brillant, doué et riche et un être fruste (singe, zombie) mais serein et apparemment heureux, un être proche de la nature qui ne s’est pas égaré dans des réflexions inutiles, un être un peu primitif, écologique, « un type un peu nerveux, animal, puissant, sans culture digne de ce nom mais qui avait réussi à percer… », un amant idéal pour une femme qui s’ennuie à l’ombre d’un homme trop occupé par des problèmes trop sérieux.

Eric, directeur commercial dans une entreprise de vente de bière à Brest, est pris au piège de la société de consommation, il doit toujours travailler plus pour satisfaire les envies de son épouse qui lui reproche d’être de moins en moins présent à la maison et, au travail, il est contraint par sa hiérarchie de pressuriser ses collaborateurs et amis pour atteindre les objectifs de l’entreprise. Il sent que sa vie lui échappe et qu’il mène une existence qu’il n’a jamais voulu avoir.

Hikari sait que la vie qui lui reste à vivre sera bien courte, il profite au mieux de l’argent qu’il a gagné en décontaminant le site de Fukushima, il s’offre une jeune femme contactée sur un site Internet spécialisé. De cette relation éphémère pourrait naître un monstre comme en naissent souvent au zoo de Fukushima. Une nouvelle brève, intense, foudroyante comme un tsunami.
Jérôme, trader grassement enrichi, éprouve le besoin de faire une coupure pour retrouver une vraie vie d’homme au contact de la nature et de ses dangers. Après un séjour dans la jungle guyanaise, il comprend la puérilité humaine et comment l’exploiter pour son plus grand profit.

Haim, riche employé d’une grande entreprise de la City londonienne, renverse accidentellement un randonneur qui décède sur le coup, il décide d’enterrer la victime mais celle-ci n’est pas réellement morte, elle est, selon des spécialistes, zombifiée par son entremise. Il aurait le pouvoir de faire renaître les gens sous une forme docile et servile. Il pourrait ainsi s’adjoindre une véritable armée, curer l’humanité de tous les gens qui la polluent et instaurer une société plus humaine.

Un cadre qui a réussi dans la finance, a épousé une femme pour sa beauté et a un enfant roi, la vie rêvée de toute bonne famille bourgeoise mais il doit faire face aux aléas de la vraie vie quand un grain de sable vient se coincer entre les rouages pourtant bien huilés des engrenages de son existence.

Les textes de Renaud Cerqueux sont très actuels, son écriture est rapide, nerveuse, il emploie un vocabulaire d’aujourd’hui, fait référence à des produits à la mode. On sent bien que l’auteur travaille aussi dans le monde de la bande dessinée, ses textes sont visuels. Il décrit un monde en prise directe avec les problèmes que les Français rencontrent aujourd’hui et les invite à réfléchir sur leur avenir en leur démontrant que le discours qu’on leur assène depuis l’école a vécu et que même la vertu n’empêchera pas l’homme de rencontrer le vice dont il ne triomphera pas nécessairement. Il y a dans les nouvelles qui composent ce recueil, comme une certaine fatalité, une forme de fuite en avant inéluctable qui pourrait être fatale à la gent humaine.